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juillet 2007 

Tollé impérialiste contre la révocation de la licence de diffusion des putschistes de RCTV – Les trotskystes appellent les travailleurs à en prendre le contrôle

Venezuela : Bataille autour des médias

Oncle Sam, bas les pattes! Manifestation en défense de la mesure de Chávez contre RCTV, un instigateur clé du coup d’Etat soutenu par l’impérialisme d’avril 2002. (Photo : Howard Yanes)

Juillet 2007 – Dans les dernières semaines, il y a eu un déferlement de dénonciations frénétiques de la part des médias et des porte-parole des gouvernements impérialistes concernant la révocation par le président vénézuélien Hugo Chávez de la licence de diffusion de RCTV, le plus grand réseau de télévision dans le pays. Le Sénat américain, le Parlement européen et le président allemand de l’Union européenne ont tous publié des déclarations affirmant que l’action du gouvernement vénézuélien est une violation de la liberté de parole, de la liberté des médias, etc. Human Rights Watch, le Comité pour la protection des journalistes, Reporters sans frontières et d’autres groupes pour les « droits de l’homme » ont fait de même. Tous ces groupes sont financés par l’impérialisme nord-américain, notamment au travers de la National Endowment for Democracy (NED), qui sert de canal à la CIA, et par d’autres gouvernements ; ils ont à plusieurs reprises battu les tambours de guerre pour des interventions impérialistes en Yougoslavie, en Irak et ailleurs. Au Venezuela, les réactionnaires de la droite ont mobilisé les étudiants des universités catholiques et des universités d’ « élite » en prétendant défendre la « liberté d’expression ». Ailleurs en Amérique latine, la présidente chilienne Michelle Bachelet a « regretté » la décision et le Sénat brésilien a demandé à Chávez de « reconsidérer » la mesure.

La Ligue pour la Quatrième Internationale  met en garde : le tollé déclenché par les maîtres de l’impérialisme sur Radio Caracas Television fait partie  de leurs efforts redoublés pour renverser le régime vénézuélien. Ce n’est pas une question de liberté de la presse mais de défense élémentaire contre l’agression impérialiste. RCTV a agi dans le passé et continue d’agir comme instrument direct de l’impérialisme américain.

Pour justifier leurs tentatives incessantes pour affaiblir et renverser le président vénézuélien, les Etats-Unis bavardent sur la « démocratie ». Mais Chávez a été élu à plusieurs reprises lors d’élections générales, la dernière fois (en décembre 2006) par 61% des votes. Tout en n’accordant aucun soutien politique au gouvernement Chávez, qui en dépit de sa rhétorique socialiste est un gouvernement capitaliste, nous soutenons la défense militaire de ce régime nationaliste contre les attaques de l’impérialisme et de la réaction intérieure. Et tout en défendant la mesure prise contre un des plus célèbres médias putschistes, nous appelons les travailleurs vénézuéliens à se mobiliser indépendamment pour imposer le contrôle ouvrier sur tous les médias bourgeois et sur l’économie capitaliste.

RCTV ainsi que d’autres grands empires des médias ont agi en tant qu’acteurs clés lors du coup d’Etat d’avril 2002 contre le gouvernement Chávez, qui était devenu la bête noire de Washington et de la majeure partie de la bourgeoisie vénézuélienne. Ils n’ont pas seulement soutenu le coup d’Etat en se regroupant autour du palais présidentiel de Miraflores pour manifester un soutien à la figure de proue du putsch, Pedro Carmona, le chef de la Chambre de commerce vénézuélienne, qui pendant les 47 heures où il exerça le pouvoir a supprimé l’Assemblée nationale et la Cour suprême, a renvoyé les gouverneurs élus par la population et a instauré par décret un régime militaire ouvert. Les chaînes de télévision ont joué un rôle actif dans la préparation et la réalisation du putsch en aidant à orchestrer une «grève générale» contre-révolutionnaire et en diffusant la désinformation selon laquelle les partisans de Chávez auraient tiré sur des manifestants. La réalité était tout à fait le contraire : ceux qui ont été tués le 11 avril 2002 étaient principalement des chavistas (partisans de Chávez) abattus par des tireurs professionnels de la Police municipale de Caracas contrôlée par l’opposition de droite. Et, quand le 13 avril des milliers de partisans de Chávez ont envahi le centre de la capitale depuis les bidonvilles des collines entourant Caracas pour s’opposer au coup d’Etat, les médias ont observé un silence total.

Tous les médias contre-révolutionnaires auraient dû être saisis au moment où le coup d’État a été vaincu et leurs directeurs arrêtés et passés en jugement. Quand les accusations étaient prouvées, eux et les autres auteurs du coup d’Etat auraient été de manière appropriée sévèrement condamnés. C’est une question élémentaire de défense militaire face à la contre-révolution parrainée par les impérialistes, qui doit être écrasée par des mesures vigoureuses. Nous ne nous tournons pas vers le gouvernement Chávez pour exécuter de telles mesures, parce que c’est un régime capitaliste reposant sur l’armée bourgeoise. En proclamant une « Révolution bolivarienne » (du nom de Simon Bolivar, le chef de la lutte latino-américaine au XIXe siècle pour l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne) et plus récemment en s’engageant à construire le « socialisme du XXIe siècle », l’ancien colonel militaire Chávez a adopté une posture radicale, déclarant même son admiration pour le révolutionnaire russe Léon Trotsky. Mais il a cherché à plusieurs reprises à ménager et à acheter l’opposition de droite. Les révolutionnaires trotskystes, au contraire, cherchent à mobiliser les masses travailleuses pour mettre en oeuvre des mesures révolutionnaires contre les forces de la contre-révolution par l’intermédiaire de tribunaux populaires et de conseils ouvriers (soviets) construits dans la lutte pour la révolution prolétarienne.


Etudiants de l’Université catholique Andrès Bello et d’autres universités d’élite
protestant le 31 mai contre le non-renouvellement de la licence de diffusion de
RTCV. 
(Photo : Juan Barreto/AFP)

En aucune façon les trotskystes ne défendent chaque mesure prise par le gouvernement Chávez. Il a mis sur pied un Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), un parti bourgeois d’Etat, dont le but est de garder les différents groupes soi-disant socialistes et les syndicats sous la coupe du gouvernement. En 2000, il a tenté d’imposer un contrôle étatique sur les syndicats au moyen d’un plébiscite, auquel nous nous sommes opposés en même temps que nous avons dénoncé les politiques pro-impérialistes des dirigeants traîtres de la CTV (Confederacion de Trabajadores de Venezuela), qui était alors la plus grande confédération syndicale. Plus récemment, Chávez a accusé l’UNT (Union Nacional de Trabajadores), dont les dirigeants sont de gauche et qui est maintenant la principale organisation syndicale, d’être « empoisonnée » parce qu’elle n’a pas accepté immédiatement de se « subordonner » au PSUV, alors même que la direction de l’UNT a appelé à voter Chávez lors des élections présidentielles de décembre dernier. En janvier, Chávez a obtenu de l’Assemblée nationale qu’elle lui permette de gouverner par décrets pendant 18 mois, dans le but de promulguer les « lois révolutionnaires ». La loi sur la presse nationale stipule que c’est une violation d’insulter les institutions gouvernementales (comme l’armée ou la direction de l’Etat). Nous nous opposons à toutes ces mesures, qui ont en commun un caractère bonapartiste, et nous luttons pour l’indépendance du mouvement ouvrier par rapport au contrôle de l’Etat capitaliste.

Mais sur la question de la presse et du refus de renouveler la licence de diffusion de RCTV, notre critique est qu’en laissant le contrôle des ondes entre les mains des patrons des médias putschistes après l’écrasement du putsch parrainé par les impérialistes en avril 2002, Chávez cherchait, vainement, à se concilier la réaction impérialiste et nationale, ouvrant ainsi la voie à de nouveaux coups d’Etat. Le résultat en fut le lock-out patronal de décembre 2002 et janvier 2003, une série d’attaques terroristes au début de l’année 2004 (les soi-disant « guarimba ») appuyées par les médias, et maintenant le boucan au sujet de RCTV. Ce que les impérialistes tentent maintenant de faire est de préparer la voie à un coup d’Etat « soft » comme celui qu’ils ont monté en Yougoslavie en 2000 et qu’ils ont réitéré en Ukraine en décembre 2004. Certains des mêmes « experts des médias » tels que la Albert Einstein Institution, qui ont conseillé les manifestants « étudiants » à Belgrade et à Kiev, sont maintenant en train de faire encore leur sale boulot à Caracas. Quand les étudiants de droite ont demandé à être entendus par l’Assemblée nationale et qu’ensuite ils ont sorti de la salle au lieu de débattre avec les étudiants pro-Chávez, ils ont laissé derrière eux la dernière page d’un script (littéralement) qu’ils ont suivi, élaboré par l’agence NRS Publicidad, liée étroitement au groupe de « formation électorale » financé par le NED.

Mais même encore aujourd’hui, Chávez n’a pas exproprié ou passé les directeurs de RCTV en jugement ; il a seulement refusé de renouveler leur licence de diffusion, ce que le gouvernement a entièrement le droit de faire. Aux Etats-Unis, de telles licences permettant la télédiffusion sur certaines fréquences hertziennes sont données (et révoquées) par la Federal Communications Commission. RCTV a quitté les ondes le 27 mai et a été remplacée par une nouvelle chaîne d’Etat non commerciale, TVes. Mais RCTV peut toujours transmettre sur le câble. Les libéraux citent ce fait pour démontrer à quel point le président vénézuélien est modéré. Mais, en réalité, cette « modération » est une menace mortelle pour la perspective d’une révolution socialiste au Venezuela, qui est opposée au populisme bourgeois de gauche de la « Révolution bolivarienne ». Pendant que Chávez parle de manière démagogique de la « révolution permanente » et fait l’éloge du Programme de transition de Trotsky, le trotskysme représente le parti de l’opposition intransigeante à tous les gouvernements bourgeois. Les trotskystes authentiques cherchent à construire un parti ouvrier révolutionnaire et des syndicats de lutte de classe indépendants de tout contrôle étatique, afin de lutter pour un gouvernement ouvrier et paysan qui commence la révolution socialiste et qui cherche à la l’étendre internationalement à travers tout l’hémisphère et à l’intérieur du centre impérialiste.

Le rôle des médias dans le coup d’Etat de 2002

Le coup d’Etat de Caracas en avril 2002 fut planifié en détails au moins six mois à l’avance. Il fut préparé et exécuté en collaboration étroite avec le gouvernement nord-américain. A cause du discrédit des principaux partis capitalistes, l’Action démocratique (AD – affiliée à la IIe Internationale social-démocrate) et le Parti social-chrétien (COPEI), qui sont irrémédiablement embourbés dans la corruption, les médias bourgeois ont largement remplacé les partis en tant qu’organisateurs actifs du coup d’Etat. A l’époque, tous les quotidiens de Caracas, à l’exception d’un seul (qui était neutre), étaient violemment hostiles au gouvernement, alors que toutes les chaînes de télévision étaient anti-Chávez, à l’exception de celle dirigée par l’Etat, dont les émissions furent bloquées pendant le putsch. L’opposition contre-révolutionnaire contrôlait donc totalement l’information publique durant les deux jours cruciaux. Cela fut précédé par des mois de travail acharné des médias contre le gouvernement, ce qui contribua à faire chuter la popularité de Chávez à l’époque.

Sur la base des documents obtenus grâce au Freedom of Information Act (Acte pour la liberté de l’information), dont plusieurs ont été reproduits dans le livre de l’avocate Eva Golinger, The Chávez Code : Cracking US Intervention in Venezuela (Olive Branch Press, 2006), et qui sont disponibles sur le site Internet venezuelafoia.info, on en sait déjà beaucoup à propos de l’implication américaine dans le putsch raté de 2002. Il y a eu le financement habituel des partis politiques de l’opposition par la National Endowment for Democracy, l’organisation gouvernementale américaine mise sur pied pour remplacer les opérations clandestines de financement de la CIA quand leur couverture a définitivement éclaté dans les années 70. Au Venezuela, la NED (par l’intermédiaire de l’International Republican Institute) a même inventé de toutes pièces un nouveau parti (Primero Justicia – Justice avant tout). Après l’échec du coup d’Etat et du lock-out patronal au début de 2003, la NED a mis sur pied et financé une organisation visant à promouvoir la participation électorale (Sumate) pour demander un référendum sur la révocation. Elle a financé le Carter Center pour fournir des observateurs « indépendants » des élections. Et elle a embauché un institut de sondage (Penn, Schoen & Berland Associates) pour faire des sondages à la sortie des urnes (réalisés par Sumate) qui ont donné 59% d’électeurs en faveur de la démission de Chávez, alors qu’en fait 59% avaient voté pour le garder en fonction. C’est là la conception nord-américaine des «élections libres» : un vote « acheté et payé » totalement contrôlé par les Etats-Unis.

Des milliers de travailleurs et de pauvres se sont précipités au palais présidentiel pour s’opposer au coup d’État soutenu par les É.U. contre Hugo Chávez en avril 2002. Les médias aux mains des magnats putschistes ont supprimé toute nouvelle de leur mobilisation. Maintenant ces fantoches de l’agression impérialiste crient pour la liberté de la presse.

(Photo : Ricardo Mazatlán/AP)

En plus, il y avait le financement américain traditionnel des syndicats pro-impérialistes, en l’occurrence la CTV dirigée par Carlos Ortega, avec au moins 320 000 dollars américains acheminés par l’American Center for International Labor Solidarity (ACILS – le nouveau nom de l’American Institute for Free Labor Development, AIFLD, célèbre pour avoir servi d’instrument de la CIA dans les coups d’Etat qu’elle a orchestrés du Guyana en 1959 au Chili en 1973). Ortega était un des principaux organisateurs du coup d’Etat de Caracas en 2002, même s’il a été mis sur la touche par les dirigeants d’entreprises d’extrême-droite rassemblés autour de Carmona.  Les Etats-Unis ont financé des voyages d’Ortega à Washington (en février 2002) et de Carmona (en novembre 2001) pour des consultations. Ils y ont rencontré le sous-secrétaire aux Affaires de l’hémisphère occidental Otto Reich, un gusano cubain qui a joué un rôle clé dans les années 80 dans la production de désinformations pour l’administration Reagan, visant à camoufler le rôle des Etats-Unis dans l’organisation des mercenaires contras du Nicaragua qui avaient engagé une guerre terroriste contre le gouvernement sandiniste.

Des câbles déclassifiés montrent que, début avril, le gouvernement américain avait en sa possession des informations détaillées en provenance de sources militaires, selon lesquelles un coup d’Etat était en vue. L’ambassade américaine avait aussi deux attachés militaires à l’intérieur du QG de l’armée à Fort Tiuna qui étaient en contact étroit avec les auteurs du putsch tout au long de son déroulement. Il y avait même une mission d’entraînement de la police dirigée par l’ancien chef de police de New York William Bratton, financée par la NED, pour améliorer les opérations de la police municipale de Caracas contrôlée par l’opposition, et dont les tireurs d’élite firent feu sur les manifestants le 11 avril. Mais le rôle des médias fut crucial, et pas seulement en façonnant le climat politique. Un « Résumé des renseignements pour des cadres directeurs » de la CIA à la veille du coup d’Etat  rapporte que « le président Chávez est confronté à une forte opposition continue de la part du secteur privé, des médias, de l’Eglise catholique et des partis politiques d’opposition... Des officiers militaires mécontents sont en train de planifier un coup d’Etat... »

Un article de Jon Beasley-Murray, un universitaire de l’University of British Columbia, intitulé « Le coup d’Etat sera télévisé » et publié dans la collection dirigée par Gregory Wilpert, Coup against Chávez in Venezuela (Caracas 2003), écrit le jour même du putsch militaire, commence ainsi : « Voici comment on vit un coup d’Etat moderne : en regardant la télévision. Le coup d’Etat au Venezuela (et il faut dire sans ambages que c’est un coup d’Etat) a pris place dans les médias, fomenté par les médias, et avec les médias eux-mêmes l’objectif évident des deux côtés du conflit. ». Suit un article, « La révolution ne sera pas télévisée », qui commence ainsi : « Voici comment un coup d’Etat moderne est défait : presque invisiblement, en marge des médias. Une gigantesque révolte populaire contre un régime illégitime (la junte dirigée par Carmona) a eu lieu alors que la classe moyenne du pays regardait des feuilletons populaires et des jeux télévisés ». L’auteur raconte comment il a reçu des appels téléphoniques à propos du mécontentement dans l’armée, du refus des unités d’opération d’exécuter les ordres des généraux séditieux, des mobilisations de milliers de pauvres qui descendaient dans le centre de la ville, et rien de tout cela ne fut rapporté à la TV ou à la radio. A la place, RCTV diffusait le film Pretty Woman et des dessins animés des Warner Brother Looney Tunes.

Les médias ont préparé la voie au coup d’Etat en diffusant de façon ininterrompue des histoires à propos de la «grève générale» du 11 avril, qui consista principalement en une énorme foule (au moins 200 000 manifestants) de réactionnaires enragés de la classe moyenne et de la bourgeoisie qui se sont rendus dans les quartiers généraux des compagnies pétrolières pour en défendre la direction. La TV l’a décrite comme une action spontanée d’une foule qui se transforme tout à coup en une manifestation à travers la ville jusqu’au palais présidentiel de Miraflores, alors que les médias savaient que ce changement de route avait été décidé la nuit d’avant par les auteurs du coup d’Etat. La télévision diffusa de longues interviews des dirigeants du coup d’Etat ainsi que la cérémonie au cours de laquelle Carmona a prêté serment tout seul comme président. Et ensuite, quand les unités militaires se sont rebellées et que les pauvres et les travailleurs se sont soulevés contre le coup d’Etat, il n’y eut soudain plus de nouvelles du tout. La télévision a aussi joué un rôle décisif en transmettant à plusieurs reprises le mensonge que Chávez avait démissionné, ce qui était crucial pour donner un vernis de légitimité à l’action militaire. Le gouvernement américain et les médias impérialistes ont initialement avalisé la prétention que les putschistes comblaient seulement un « vide de pouvoir ». Le New York Times (13 avril 2002) dans son éditorial déclara avec approbation : « M. Chávez, un démagogue ruineux, a démissionné après que l’armée fut intervenue et eut remis le pouvoir à un dirigeant d’entreprise respecté, Pedro Carmona. »

Les chaînes de télévision, dont RCTV, ont joué un rôle crucial en transmettant de façon continue un autre mensonge, comme quoi les chavistas auraient tué plus d’une douzaine de manifestants. (« Des partisans armés de Chávez ont tiré sur des grévistes pacifiques, tuant au moins quatorze d’entre eux et blessant des centaines d’autres. M. Chávez a réagi comme d’habitude. Il a obligé cinq chaînes privées de télévision à cesser d’émettre pour avoir montré des images du massacre », affirmait l’éditorial du Times.) Le récit d’un témoin oculaire recueilli par Gregory Wilpert (« Le coup d’Etat de 47 heures qui a tout changé » venezuelanalysis.com, le 13 avril [2002]) raconte comment les directeurs de TV ont coupé les images pour montrer uniquement certains partisans de Chávez qui tiraient des coups de pistolet, mais sans montrer qu’ils ripostaient à des hommes armés de droite qui avaient tiré sur eux. Ils n’ont pas montré non plus les manifestants qui indiquaient la direction de ce qui s’avérait être des tireurs d’élite de la police stationnés sur les toits et qui ouvraient le feu sur la foule. Ils n’ont pas non plus rendu compte que la majorité de ceux qui ont été tués le 11 avril étaient des chavistas. Ce fut en réalité un exemple parfait de comment mentir avec des images, et les médias pro-coup d’Etat ont joué un rôle décisif dans la fabrication de la réalité virtuelle qui a été ensuite colportée partout à travers le monde.

Le plus révélateur fut quand le correspondant de CNN Otto Neufstaldt déclara plus tard lors d’un débat universitaire qu’il avait été informé la nuit d’avant par un contact dans l’opposition que « demain, le 11, il y aura une vidéo de Chávez, la manifestation se rendra en direction de Miraflores et il y aura des morts... » Le matin suivant, il fut appelé pour réaliser un enregistrement vidéo d’un pronunciamiento par les putschistes, dirigés par le vice-amiral Hector Ramirez Perez, qu’il a filmé à 14 heures. Les officiers ont donné comme un des motifs de leur action que Chávez était responsable de la mort de six personnes soi-disant tuées par ses partisans. Mais au moment où la déclaration fut enregistrée (elle ne fut diffusée que plusieurs heures plus tard), personne n’avait encore été tuée. En d’autres termes, les coups de feu sur des manifestants désarmés faisaient partie d’un macabre complot criminel pour fabriquer des martyrs pour la cause de l’opposition (voir Wilpert, « Le coup d’Etat de 47 heures... »).

Quant à la pénurie d’informations à propos des mobilisations populaires en faveur de Chávez, Neustaldt raconta qu’il y avait de nombreux journalistes dans les rues les 12 et 13 avril, mais les magnats des médias refusèrent de diffuser ou de publier leurs reportages. Le patron de RCTV, Marcel Granier, et d’autres directeurs des médias sont allés à Miraflores. Andrès Izarra, ex-directeur d’un journal télévisé de RCTV, témoigna à l’Assemblée nationale qu’il avait reçu des instructions directes de Granier, le jour du coup d’Etat et par la suite, de ne diffuser aucune information à propos de Chávez, de ses ministres ou de ses partisans ; et que Granier refusa de diffuser l’information que Chávez n’avait pas démissionné. Le film documentaire « La révolution ne sera pas télévisée » (2003) inclut des scènes de présentateurs de nouvelles à la TV félicitant Venevision, Globovision et RCTV pour le rôle qu’ils ont joué en aidant le coup d’Etat. Et, du fait que Chávez avait laissé le contrôle des médias entre les mains de ces putschistes invétérés, ça ne s’est pas arrêté là. Deux mois après le coup d’Etat d’avril 2002, le programme USAID a mis sur pied un Bureau d’Initiatives de transition qui a dépensé plus de 9 millions de dollars américains (« en liquide, pour être payé en monnaie locale ») pour des publicités télévisées anti-Chávez qui devaient être diffusées fin 2002 et début 2003. C’était précisément à l’époque du lock-out patronal que les médias décrivaient comme une grève générale. Le coup d’Etat militaire raté a été suivi d’une tentative de coup d’Etat économique, mais qui a elle aussi échoué.

La liberté de la presse et la révolution ouvrière

La question de la liberté de la presse refait surface dans presque toutes les situations révolutionnaires ou potentiellement révolutionnaires quand les évènements atteignent un point critique. C’est dû au fait que le contrôle de l’information est un élément clé de la domination militaire. La question s’est posée en Russie à la fois en février-mars 1917 et suite à la révolution d’Octobre, quand les soviets ont interdit les journaux contre-révolutionnaires. Plus récemment, la question de la liberté de la presse a joué un rôle important pendant les années où le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) gouverna le Nicaragua, quand La Prensa, dirigée par la famille Chamorro et financée par le gouvernement US, fut interdite et qu’ensuite cette interdiction a été levée.

Aujourd’hui, les impérialistes poussent avec une énergie toute particulière le cri de guerre de la liberté de la presse pour couvrir leurs intrigues contre-révolutionnaires. Suite à l’échec du coup d’Etat vénézuélien d’avril 2002, du lock-out de décembre 2002 et janvier 2003, et aux différents référendums et élections, Washington se prépare à répéter les « révolutions » aux codes de couleur qu’il a parrainées de la Yougoslavie à l’Ukraine (orange) et à la Géorgie autrefois soviétique (rose). Et pour faire descendre dans la rue les activistes étudiants et petits-bourgeois de la « société civile », le contrôle des médias est crucial.

Les marxistes défendent la liberté de la presse en tant que droit démocratique. Nous défendons ce droit avec vigilance, même dans le cas des bellicistes de droite comme Judith Miller du New York Times*, parce que nous savons que toute restriction de la liberté de la presse (comme de tout autre droit démocratique) sera utilisée en dernière instance contre les organisations ouvrières, et plus particulièrement contre les révolutionnaires. En 1945, le gouvernement français de front populaire a interdit le journal trotskyste La Vérité dans le but de consolider un régime bourgeois d’après-guerre, se servant de lois prétendument dirigées contre les fascistes. De la même manière, les milices ouvrières ont souvent été interdites par des lois dont le but déclaré était de supprimer les bandes fascistes.

Mais dans des conditions de révolution ou de guerre, les questions démocratiques sont subordonnées aux questions de classe fondamentales et aux exigences de la défense militaire. George Washington en 1776 pendant la Guerre d’Indépendance nord-américaine avait interdit des publications britanniques loyalistes. Abraham Lincoln pendant la Guerre civile nord-américaine de 1861-1865 a fermé des dizaines de journaux qui apportaient leur soutien ou adoptaient une attitude conciliatrice à l’égard des confédérés esclavagistes du Sud. Lénine et Trotsky appuyaient la fermeture des journaux contre-révolutionnaires, mais ils étaient soucieux de limiter les interdictions au strict minimum nécessaire. Dans un décret du 9 novembre 1917 du Soviet de Petrograd, Lénine ordonna que les seuls journaux qui devrait être fermés seraient ceux « (1) qui appellent à la résistance ouverte ou à l’insubordination contre le gouvernement des ouvriers et des paysans; (2) qui sèment la sédition par des déformations des faits tout à fait prouvables ; (3) qui sont à l’origine d’actions d’une nature manifestement criminelle, c’est-à-dire, criminellement punissables ». RCTV (et d’autres chaînes de télévision et radio) ont rempli tous ces critères.

Comme Trotsky le signalait dans un article d’août 1938 sur « La liberté de la presse et la classe ouvrière » (Œuvres, tome 18):

« Naturellement, si on est obligé de diriger l’artillerie et l’aviation contre l’ennemi, on ne peut permettre à ce même ennemi de maintenir ses propres centres d’information et de propagande à l’intérieur du camp armé du prolétariat. Pourtant, même dans ce cas, si les mesures exceptionnelles se prolongent jusqu’au point de se transformer en un régime durable, elles portent elles-mêmes le danger de la libération totale et du monopole politique d’une bureaucratie ouvrière qui peut même devenir une source de sa dégénérescence ».

Au Nicaragua, une fois que la guérilla contre-révolutionnaire a sérieusement commencé, les sandinistes ont été forcés de fermer La Prensa qui fonctionnait comme porte-parole des contras. Nous avons approuvé fermement cette interdiction à l’époque, tout en disant qu’elle devait être le point de départ d’actions de la classe ouvrière pour exproprier la totalité de la bourgeoisie nicaraguayenne. Au lieu de cela, après avoir «suspendu» la publication de La Prensa en 1985, les sandinistes ont signé deux ans plus tard les accords de «paix» d’Esquipulas qui appelaient à la réouverture inconditionnelle de ce journal contre-révolutionnaire. C’était le début de la fin pour le FSLN, qui par la suite a perdu les élections de 1989 au profit de Violeta Chamoro, dont la candidature et le journal étaient fortement financés par Washington.

Au Chili, en 1970-1973, le gouvernement américain a versé des millions pour financer le journal conservateur El Mercurio, qui mena une agressive et permanente campagne de journalisme jaune contre le gouvernement de l’Unidad Popular (UP) de Salvador Allende. La CIA a aussi acheté les services de journalistes et a même dicté la mise en page du journal. Le front populaire bourgeois d’Allende, qui jurait fidélité à la défense de la légalité capitaliste, n’a rien fait. Cette guerre psychologique a joué un rôle important en préparant la voie au coup d’Etat sanglant de Pinochet en septembre 1973.

Les libéraux bourgeois en appellent parfois aux gouvernements «progressistes» pour réorganiser les médias dans le but de se débarrasser ou de réduire le pouvoir des groupes de presse réactionnaires comme Fox News. Au Mexique, le PRD nationaliste bourgeois (et la Tendance Militante à l’intérieur de ce parti) ont salué avec un enthousiasme débordant les mesures de Chávez, les citant comme un exemple de ce qui devrait être fait pour briser le double monopole de Televisa et de TV Azteca, qui a été inséré dans la loi avec la Ley Televisa de l’année dernière. Mais appeler les gouvernements bourgeois à promouvoir la «diversité» dans les médias peut avoir des résultats inattendus. Le régime Chávez a mis sur pied plusieurs émetteurs de télévision communautaires, mais ne comptez pas sur elles pour permettre à de véritables trotskystes d’appeler sur les ondes au remplacement de son gouvernement bonapartiste par des conseils ouvriers. Montrer quelques visages de Noirs ou d’Indiens au teint foncé au lieu du sempiternel défilé des reines de beauté blondes au look européen est une chose. Autoriser l’agitation pour la révolution ouvrière est quelque chose de tout à fait différent.

Au Venezuela, comme nous l’avons signalé, pratiquement toute la presse bourgeoise a collaboré activement au putsch d’avril 2002 qui a brièvement remplacé Hugo Chávez au pouvoir. Certains médias, tels que RCTV, on joué un rôle actif en mettant à exécution ce coup d’Etat raté et le lock-out patronal qui a suivi. Ce fut une tentative d’étrangler économiquement le régime Chávez, tout comme les Etats-Unis essaient de le faire contre le régime de Castro à Cuba depuis plus de 45 ans. Mais contrairement à Cuba, un Etat ouvrier bureaucratiquement déformé avec une économie collectivisée, l’économie capitaliste semi-coloniale du Venezuela rend ce dernier beaucoup plus vulnérable à une telle guerre économique. Les médias vénézuéliens ont agi comme pions de l’agression impérialiste. Les travailleurs devraient  s’emparer du contrôle des organes de propagande réactionnaires mais, au lieu de cela, Chávez a essayé de se concilier les putschistes. Le refus de renouveler la licence de diffusion de RCTV est une mesure tardive et loin d’être adéquate de défense militaire contre les attaques parrainées par les impérialistes.

Certains courants de gauche, comme la Fraction trotskyste (FT) dirigée par le PTS d’Argentine (Partido de Trabajadores por el Socialismo – Parti des travailleurs pour le socialisme), ont affirmé que puisque Chávez n’a pas fermé les médias putschistes en 2002 et qu’il n’a pas révoqué les licences de diffusion de Globovision et de Venevision, la révocation de la licence de RCTV « n’a donc rien à voir avec des mesures d’autodéfense ». Mais tout en admettant que l’impérialisme et la réaction intérieure se sont emparés de la question de RCTV comme cri de guerre pour la « liberté de la presse », une déclaration de l’organisation vénézuélienne sympathisante de la FT, le JIR (Juventad de Izquierda Revolucionaria – Jeunesse communiste révolutionnaire), a évité de prendre une position explicite sur la question. Ils affirment que lors d’une éventuelle confrontation de rue « quand et si » elle atteint le niveau de 2002, «  nous ne sommes pas neutres » et qu’ils seraient en première ligne pour lutter contre une nouvelle tentative de coup d’Etat. Dans ces conditions, les travailleurs devraient s’emparer du contrôle des médias comme les grévistes de Oaxaca (au Mexique) l’ont fait l’année dernière, disent-ils. Mais la déclaration mielleuse de la JIR (La Verdad Obrera, 31 mai 2007) ne dit pas de quel côté elle se situe dans les mobilisations actuelles et implique qu’elle s’oppose à la révocation de la licence de RCTV en tant que « mesure restrictive » et « censure gouvernementale ».

La FT refuse de voir que les mobilisations réactionnaires parrainées par les impérialistes font partie d’une opération visant le renversement du régime de Chávez et l’oppression massive des travailleurs, paysans et citadins pauvres de plus en plus radicalisés. Cet aveuglement délibéré est en conformité avec l’opposition de la FT aux peines de mort prononcées par le gouvernement cubain à l’encontre des pirates de l’air inspirés par l’invasion américaine de l’Irak en mars 2003. Tout en disant que « nous ne nions pas que dans certaines circonstances de la lutte des classes un Etat ouvrier ou un pays semi-colonial doive utiliser des mesures exceptionnelles pour faire face aux oppresseurs ou aux provocations de la contre-révolution », elle a alors condamné l’application des peines de mort contre les pirates qui se sont emparés d’un ferry au moment de l’invasion US de l’Irak (La Verdad Obrera, 21 mai 2003). En fait, comme nous l’avons mentionné, les dirigeants américains cherchaient agressivement à susciter à l’époque une hystérie contre-révolutionnaire à Cuba, espérant provoquer une nouvelle vague de « balseros » ou de « boat people » se dirigeant vers Miami. Dans ces circonstances, les trotskystes authentiques, tout en n’accordant aucun soutien politique au régime de Castro, défendaient la répression menée par Cuba contre les comploteurs gusano et les pirates de l’air (voir «Libéraux et réformistes hurlent avec les loups impérialistes : Pour la défense révolutionnaire internationaliste de Cuba !» dans L’Internationaliste no.4).

Au Venezuela, nous appelons les travailleurs (et non un colonel au discours de gauche devenu président) à arracher le contrôle des médias aux capitalistes. Mais c’est seulement possible durant des situations de bouleversement révolutionnaire ou de luttes sociales aiguës, comme ce fut le cas à Oaxaca, où le Grupo Internacionalista, la section mexicaine de la Ligue pour la Quatrième Internationale, a soutenu activement la prise de contrôle des stations de radio et de TV par les grévistes, dans le but de briser le contrôle absolu des médias par le gouvernement assassin. De même, nous défendons la mesure tardive et partielle de refus du régime populiste bourgeois de Chávez de renouveler la licence du plus grand des médias putschistes face aux hurlements des impérialistes, qui voient leurs derniers plans de putsch contrariés, au moins temporairement. Nous cherchons à construire un parti ouvrier révolutionnaire authentiquement trotskyste avec sa propre presse, luttant pour la révolution socialiste internationale, qui est la seule véritable garantie contre le triomphe de la réaction.  n


* Judith Miller, journaliste du New York Times, joua un rôle clé dans la préparation du scénario de guerre de l’administration Bush avec l’invention des « armes de destruction massive » (ADM) en Irak. Elle rapporta à plusieurs reprises les histoires  d’exilés irakiens de droite sur des armes biochimiques et un programme d’armes nucléaires, lesquelles étaient toutes inventées. Nous avons dénoncé cette fabrication et le rôle joué par Miller dans un article détaillé intitulé « The U.S.’ Pretext for Imperialist War: The Great Chemical Weapons Hoax” [Le prétexte des USA pour la guerre impérialiste : La grande fraude des armes chimiques] (The Internationalist n° 16, mai-juin 2003). Plus tard, dans l’affaire concernant la « révélation » d’une agente de la CIA par la Maison Blanche tentant de discréditer les informations sur l’inexistence des armes de destruction massive, un juge exigea de Miller qu’elle révèle ses sources, sinon elle serait emprisonnée pour désobéissance au tribunal. En même temps que nous soulignions la responsabilité de Miller dans la fraude des armes de destruction massive, nous nous opposions à son emprisonnement parce que obliger des journalistes à révéler leurs sources est une atteinte à la liberté de la presse et que cela réduira au silence ceux qui ont connaissance de machinations du pouvoir et ainsi aidera le gouvernement à stopper les fuites (voir “Zionist Flack y ‘WMD’ Fabricator Jailesd in Government Witchhunt: Free Judith Miller!” [Écrivaillon sioniste et faussaire des ‘ADM’ emprisonnée lors d’une chasse aux sorcières gouvernementale : Libérez Judith Miller !] The Internationalist n° 21, été 2005).


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