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juin 2001  
Pour un gouvernement ouvrier et paysan!

Algérie : Kabylie en révolte
(première partie)

Photo: Le Matin 


Contre le pouvoir assassin et la réaction islamique,
une seule solution : la révolution prolétarienne!

30 mai 2001 – Ils ont semé la tempête. Le 18 avril Massinissa Guermah, lycéen de 20 ans, est exécuté de sang-froid dans une gendarmerie à Béni-Douala, près de Tizi Ouzou, chef-lieu de la Grande Kabylie. Criblé de12 balles, il est mort deux jours plus tard. Le ministre de l’intérieur justifie sa mort en traitant la victime de voleur. Peu après, à Oued Amizour, wilaya (préfecture) de Béjaïa, des gendarmes ont interpellé et tabassé des lycéens pour avoir crié des slogans hostiles au gouvernement pendant des commémorations du « Printemps berbère » de 1980. Dès lors la région est bouleversée par des heurts quotidiens entre les forces dites « de l’ordre » et une population en colère. Malgré les appels au calme du président Abdelaziz Bouteflika, ses allégations d’un complot étranger, ses menaces de « sanctions rigoureuses » contre les « instigateurs » de troubles et une escalade de la répression sauvage, l’agitation continue. 

Les autorités ont allumé la mèche et le « ras le bol » des Kabyles a fini par exploser. Pierres contre fusils-mitrailleurs, la comparaison avec l’intifada palestinienne s’impose. Collégiens et lycéens, mais aussi chômeurs, ouvriers et paysans tentent de prendre d’assaut les gendarmeries. A Tizi Rached un jeune lance un bus contre les locaux de la GN dans une opération « kamikaze ». Les autoroutes sont coupées, les barricades avec pneus enflammés et troncs d’arbres sont érigées. Jeunes et adultes prennent pour cibles des locaux d’impôts, des sièges de banque et d’autres symboles de l’arrogance du pouvoir. Plus de 10 000 policiers, gendarmes et soldats auraient été mobilisés dans la seule wilaya de Tizi Ouzou. Ils utilisent des balles explosives et visent la tête. Il y a des assassinats, véritables exécutions sommaires. De nombreuses victimes sont abattues à bout portant, d’autres sont tirées dans le dos alors qu’elles fuyaient. Des blessés sont sauvagement tabassés. Le 30 avril, le nombre des morts dépassait déjà la soixantaine ; actuellement on compte plus de 80 tués, victimes de la police.

Des marches de 50 000 à 100 000 personnes et des grèves générales locales en série ont secoué Béjaïa. Dans des dizaines de villes et villages de la Grande et de la Petite Kabylie les jeunes affrontent la gendarmerie et la police. Le lundi 21 mai, 500 000 manifestants ont protesté dans une marche noire à Tizi, nombre jamais vu dans le passé. Le jeudi 24, des dizaines de milliers de femmes prennent la rue pour crier contre le « pouvoir assassin » et « ulac smah » (pas de pardon). La réponse de la gendarmerie et de la police anti-émeute (CNS) ne va pas tarder : quatre jeunes abattus en deux jours. Maintenant la RN 5 est coupée par des barricades à Bouira. À Béjaïa les jeunes crient : « Si vous voulez la guerre, nous sommes prêts ». Plus qu’une protesta ou des émeutes, c’est une vraie révolte contre le régime militaire, la plus importante depuis le soulèvement d’octobre 1988. Cependant, malgré des marches importantes de solidarité à Alger et Paris, la rébellion reste largement limitée aux confins de la région « frondeuse ». Surtout elle n’a pas touché les bastions de la classe ouvrière, pourtant très combative. Et même si les politiciens bourgeois sont régulièrement conspués par les jeunes rebelles, les nationalistes berbères manœuvrent sans cesse pour regagner du terrain. 

Pendant dix ans, les travailleurs algériens ont été pris entre deux feux, entre les « décideurs » du HCE (Haut conseil d’État) avec leurs ninjas, véritables escadrons de la mort de policiers masqués en noir, et les « égorgeurs » du GIA (Groupe islamique armé) et d’autres islamistes qui ont tué des dizaines de milliers de femmes, journalistes, militants de gauche, anciens combattants de la guerre d’indépendance, minorités ethniques ou simples paysans. Cette guerre civile a coûté plus de 150 000 vies dans la dernière décennie, avec parfois 500 morts par semaine. Maintenant la révolte kabyle pourrait ouvrir une brèche pour briser le cercle infernal et sortir de cet enfer meurtrier. Mais, comme en 88, ce qui manque c’est avant tout une direction révolutionnaire, pour transformer la révolte et la conduire vers la révolution prolétarienne, seule manière de balayer tous les tortionnaires et assassins.

Combat contre la mal-vie et la hogra

« C’est contre la hogra que nous nous battons », scandent les manifestants, utilisant cette expression algérienne qui résume l’humiliation que fait subir aux Algériens ce régime autoritaire et meurtrier. Et ce n’est pas seulement contre « le pouvoir » qu’ils s’insurgent, mais aussi contre les politiciens bourgeois kabyles qui servent de pompiers du système. Fait significatif : les manifestants restent non seulement sourds aux appels des divers partis politiques (et aussi des imams), mais ils n’hésitent pas à saccager des permanences de partis, y compris des partis berbéristes, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et le Front des forces socialistes (FFS). Le premier paie pour sa participation au gouvernement, le deuxième se prétend oppositionnel. Des manifestants expriment un sentiment largement répandu : « Durant toutes ces dernières années nous leur avons fait confiance, mais ils ont rien fait pour le peuple. Ils n’ont pas combattu la mal-vie et la hogra. » En effet, RCD et FFS sont tous deux les gestionnaires de la paupérisation des masses algériennes au niveau municipal et régional.

Comme le relate un rapport de Kabylie, « le samedi passé [le 28 avril] le FFS a organisé une grandiose marche [à Béjaïa], fait monter ses responsables au podium et commençaient leurs sottises d’appeler le peuple à se calmer, et au pacifisme stérile. Le jet de pierres commençait et les manifestants criaient à la figure de ses responsables, “khobatha”, “vous êtes des traîtres et des vendus”. C’est l’image qu’on diffusait à la télévision (bien sûr l’étrangère), celui qui avait le visage plein du sang. Puis ces manifestants commençaient à saccager tout ce qui est devant eux comme un ouragan qui dévaste tout. »

Dans les premiers jours de la conflagration, beaucoup de commentateurs notaient l’absence de slogans revendiquant la reconnaissance constitutionnelle du tamazight, la langue berbère. Une nouvelle génération n’a pas les mêmes préoccupations que leurs mères et leurs pères, formés politiquement par le nationalisme berbère. Il y a là un élément qui pourrait être un point de départ pour poser la nécessité d’un programme internationaliste, capable de mobiliser les ouvriers arabophones aussi dans une lutte de classe révolutionnaire. Mais cela exige un combat acharné contre le front populisme –  la collaboration de classes à la kabyle – qui enchaîne les travailleurs à une bourgeoisie et à une petite bourgeoisie avides de se débarrasser des généraux corrompus afin de mettre la main elles-mêmes sur les leviers de commande de l’État capitaliste. Dans les manifs qui se succèdent depuis le premier choc, le symbole berbère et des mots d’ordre amazigh (berbéristes) font leur apparition. Certes, pour les jeunes aussi, le Printemps berbère de 1980 reste un point de référence. En est un symbole le chanteur kabyle rebelle Matoub Lounès , lâchement assassiné en 1998 à la veille de l’approbation de la loi d’« arabisation ». 

La rébellion a certainement débordé le cadre fixé par les nationalistes bourgeois, et pourrait le faire de nouveau face à un gouvernement décidé de montrer sa fermeté face à la population. En plus de sa déclaration vide «Je vous ai compris » à la de Gaulle, le président Bouteflika renforce le blindage répressif du régime avec un nouveau code pénal pour museler la presse avec des sanctions sévères contre toute critique. Il montre sa soumission au FMI en haussant le prix du lait de 20 pour cent, et il continue sa politique de « concorde civile » avec les islamistes « modérés ». Ainsi des égorgeurs « repentis » roulent en Mercedes à Alger pendant que leurs victimes sont abattues par les multiples polices de ce gouvernement militaire islamo-conservateur. En renforçant les mesures répressives, les « décideurs » du régime risquent la généralisation de la contestation aux régions arabophones.


Des « ninjas » de la police « antiterroriste », de véritables escadrons de la mort. (Photo: Michael von Graffenried)

Il faut constater, néanmoins, qu’il manque à cette explosion de colère tous azimuts la boussole et la force sociale qui pourront la transformer dans une lutte pour le pouvoir, contre « le pouvoir » (le régime) et tous ses rivaux bourgeois. En Algérie il est plus qu’évident que l’alternative est socialisme ou barbarie. Et les formes alternatives de la barbarie sautent aux yeux: égorgeurs ou escadrons de la mort, un choix épouvantable ! Mais ce qui fait cruellement défaut, c’est une direction marxiste qui lutte non pas pour une imaginaire démocratie bourgeoise mais ouvertement pour la révolution socialiste, comme l’ont fait les bolcheviks sous Lénine et Trotsky en Octobre 17. 

N’ayons aucune illusion. A plusieurs reprises, les dépêches de la presse bourgeoise ont relevé le slogan « Djeich, chaâb, maâk ya Hattab » (« le peuple et l’armée avec Hattab »). Nous pouvons confirmer que, effectivement, des mots d’ordre islamistes ont été lancés dans les manifestations en Kabylie. Comment expliquer ce soutien, même verbal et symbolique, au chef terroriste islamique qui tuerait des dizaines de milliers de femmes kabyles qui ne portent pas le hidjab, de militants de gauche « infidèles », d’enseignants, de syndicalistes, de journalistes, d’étudiants qui ne se plieront pas devant une dictature islamique intégriste ? Evidemment, c’est dû au fait que cet émir du djihad a refusé de se rendre à la dictature militaire haïe. Que des lycéens kabyles exaltent ce personnage ultra-réactionnaire montre un aveuglement inquiétant. Mais ce n’est pas si insolite que cela. Il y a une décennie, la pourriture du régime du Front de libération nationale (FLN) avait permis la montée du Front islamique du salut (FIS). 

Pour éviter que l’issue de cette rébellion soit le renforcement du berbérisme ou la résignation face à la dictature, ou encore que la réaction islamique prenne pied en Kabylie, il faut lutter pour une direction prolétarienne, communiste et internationaliste, sans laquelle la révolte sera canalisée forcément dans les labyrinthes de la politique bourgeoise. Comme le signalait Lénine dans Que faire ? les marxistes doivent être les tribuns du peuple, luttant en Algérie contre tout privilège linguistique, contre toute oppression de la femme et des minorités ethniques, pour la stricte séparation de la religion et de l’État. En France ils doivent mobiliser la classe ouvrière contre la déportation des réfugiés et des « clandestins », contre la terreur raciste policière et fasciste, et pour les pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés. Il faut souligner que la crise algérienne – conséquence de la politique de misère imposée par le FMI et du carnage d’une guerre entre un brutal régime militaire et des « guerriers saints » entraînés en Afghanistan – est le produit des contradictions du « nouvel ordre mondial » impérialiste sorti de la destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique.

Il n’y a pas de solution à cette crise, dont les racines sont internationales, dans un cadre national étroit. La révolution socialiste pour laquelle il faut se battre, bien qu’elle commence sur le terrain national ne peut s’achever qu’à l’échelle mondiale. La clé pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve l’Algérie, comme tout le Maghreb, le reste de l’Afrique, la totalité des pays semi-coloniaux et y compris les pays impérialistes eux-mêmes, c’est de forger des partis léninistes sur le programme trotskyste de la révolution permanente. Cela exige, comme premier pas, de bien identifier ses ennemis.


Des manifestants portent le symbole berbère (à droite) dans une marche étudianteà Alger.
(Photo : Liberté)

La banqueroute du nationalisme kabyle

Des mouvements de solidarité avec la Kabylie ont eu lieu dans les universités, à Alger, Oran et Sétif. Ici et là, la Kabylie sert même d’exemple. Le 9 mai les étudiants de l’université de Tébessa ont fait grève et ont bloqué l’autoroute entre Tébessa et Constantine. Dans la wilaya d’El Oued les transporteurs (taxis, transports urbains, autobus) ont organisé une grève de protestation après qu’un gendarme eut agressé un chauffeur de taxi. Avec la reprise des cours dans les écoles à la mi-mai, le gouvernement espérait rétablir le calme. En vain. Immédiatement surgit un nouveau conflit sur le report des épreuves du baccalauréat. L’annonce faite par le ministère de l’éducation que les épreuves auraient lieu fin juillet fut unanimement rejetée par les étudiants, enseignants et parents. 

De nouveaux affrontements éclatent avec la gendarmerie à Tizi Ouzou et Béjaïa, de  nouvelles émeutes secouent des bourgades et hameaux plus éloignés. Des comités de village ont fait leur apparition partout dans la Kabylie, plus de 200  au total, et des coordinations cherchent à les fédérer au niveau des wilayas. Ils se sont chargés des négociations avec la police et la gendarmerie, ont organisé les manifestations et distribué des denrées aux villageois et prennent ainsi la relève des partis politiques discrédités. Mais ils ne représentent pas une alternative à l’État bourgeois. S’ils revendiquent presque unanimement le départ inconditionnel de la gendarmerie, certains exigent son remplacement par la police urbaine. Et le retrait de toutes les forces répressives est vraiment une revendication indispensable contre le danger d’un nouveau bain de sang.

Les djemaâ (assemblées villageoises) furent formées pour prendre en main les lycéens. (Photo : Liberté)

Il y a une mystification à propos des comités de village et de quartier. On les fait remonter au combat de l’émir Abdelkader contre l’envahisseur français au XIXe siècle. A vrai dire, les comités ont des relents des djemaâ (assemblées villageoises traditionnelles). Même s’ils ne sont plus le terrain exclusif des imaqranen taddart (sages) et si les femmes y sont admises, loin d’être des foyers de radicalisme ces comités furent formés pour reprendre en main les lycéens avant que tout dérape. Si dans certaines villes (en particulier Béjaïa) des syndicats de secteurs petits-bourgeois comme les enseignants participent à ces comités, ces derniers n’intègrent pas le prolétariat, certes minoritaire, mais concentré dans les îlots industriels de la région. La puissance potentielle de cette classe ouvrière n’a pas été mobilisée. Les diverses « grèves générales » furent des opérations  « villes mortes » dans lesquelles les commerçants ont baissé leurs rideaux et le transport public a cessé. Ce fut un fait exceptionnel que le 8 mai les travailleurs d’Eniem, une usine de produits électroménagers à Oued Aïssi (Tizi Ouzou), fassent une grève (plutôt symbolique) de deux heures en solidarité.

Pendant que Bouteflika annonçait une « commission d’enquête » bidon et l’APN une deuxième (ce qui n’a convaincu personne), les partis rivaux du particularisme berbère ont fait monter leurs troupes à Alger pour tenter de canaliser la colère derrière des slogans creux. Le 3 mai des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Alger à l’appel du FFS. Une semaine après, c’était au tour du RCD, qui a quitté le gouvernement en prétendant que Bouteflika les avait bernés. Cette fois il marchait sous la couverture du Mouvement culturel berbère (MCB). Ces manifestations n’ont pas du tout dérangé le régime; la police s’est montrée discrète. La manif du MCB a reçu le soutien inattendu du Parti des travailleurs (PT). Ce parti aux origines pseudo-trotskystes est plutôt connu pour ses appels inlassables à la « concorde nationale » et pour ses approches en direction du FIS. Maintenant il fait cause commune avec le RCD de Saïd Sadi, lié à la fraction « éradicatrice » de l’armée - « unité nationale » oblige ! 

Pour sa part, le FFS a annoncé une nouvelle mobilisation dans la capitale. Le parti de Hocine Aït Ahmed appelle à l’intervention impérialiste sous la forme d’une « commission d’enquête internationale ». Un mémorandum présenté par le FFS à l’OTAN (!) en mars montre bien ce qui se cache derrière cet appel. Le mémorandum prône « le retour pacifique à la transition démocratique comme en Yougoslavie », c’est-à-dire la mise en place d’un gouvernement inféodé aux impérialistes à coups de dollars après que ceux-ci ont militairement dévasté le pays! Peut-être rêvent-ils d’être appelés au secours par « Boutef » pour intégrer un cabinet de rechange capable de gagner l’approbation (et les eurocrédits) de ses confrères de l’Internationale socialiste aujourd’hui au pouvoir dans douze pays de l’UE. Ainsi ils répéteraient l’« exploit » de leurs homologues marocains de l’USFP (Union socialiste des forces populaires) – autre parti nationaliste bourgeois qui comme le FFS se prétend social-démocrate – qui sert aujourd’hui de carte de visite au royaume de Mohammed VI.

Si les partis bourgeois kabyles s’insurgent contre l’accusation de séparatisme, c’est parce qu’ils se considèrent les plus « modernes », les mieux préparés pour diriger l’Algérie, soit sous le système du capitalisme d’Etat qui se donnait des airs socialistes dans les années 60 et 70, soit actuellement en pleine « mondialisation ». Aït Ahmed et les autres songent à retourner à l’époque où les Berbères kabyles et chaouis formaient plus de la moitié des dirigeants du FLN. Ils se considèrent comme les meilleurs nationalistes algériens qui avaient été marginalisés au moyen du nationalisme arabe par Ben Bella et Boumediène, et ensuite par Bendjedid et ses successeurs jusqu’à Bouteflika au profit des clans au pouvoir, qui les ont privés de leur butin. Les jeunes insurgés kabyles doivent être avertis : les partis et mouvements berbéristes ne sont ni des alliés ni une alternative au régime assassin, mais une demi-opposition bourgeoise qui attend son tour pour accéder à la mangeoire. Mais les impérialistes, surtout l’impérialisme US, même s’ils n’excluent pas utiliser les bons offices des partis berbères laïques pour une opération de sauvetage, recherchent plutôt un arrangement avec les islamistes.

Nous, trotskystes de la Ligue pour la Quatrième Internationale, nous opposons résolument à l’arabisation forcée imposée par le gouvernement algérien. Cette politique réactionnaire est non seulement une négation brutale des droits démocratiques des Berbères, mais de plus elle a fait le lit de l’intégrisme islamique. Alors que Bouteflika a dit « jamais » à la reconnaissance constitutionnelle du tamazight, nous exigeons avec Lénine la « suppression absolue de tout privilège pour quelque nation et quelque langue que ce soit » (« Notes critiques sur la question nationale », 1913). Nous sommes pour l’égalité de droits pour l’arabe, le tamazight et le français. Mais les droits se mendient pas, ils s’arrachent. Contre le poison du nationalisme, il faut forger l’unité de toute la classe ouvrière algérienne justement en défense des kabyles et de leurs droits démocratiques, y compris le droit des Berbères à l’autodétermination. 
 
« Concorde civile » avec les islamistes 
pour appuyer le pillage impérialiste

En juin 1997 – les tueries nocturnes se succédaient à un rythme effrayant – le Fonds Monétaire International (FMI) passa en revue l’état de l’économie algérienne, faisant des éloges de la politique d’austérité du gouvernement dirigé par le général Liamine Zeroual. Mais les impérialistes demandaient encore un effort pour garantir la « sécurité et la stabilité politique », ce qui veut dire favoriser les « investissements étrangers et les transferts de technologie nécessaires au développement du secteur privé » (Le Monde, 13 janvier 1998).

Une survivante d'un massacre par les groupes armés intégristes, octobre 1997.  (Photo : AFP)

Pour cela il fallait effectuer un partage du pouvoir entre l’armée, les islamistes et toute la pourriture qui a fait son beurre depuis des décennies. L’enjeu était de souder un consensus qui sauvegarderait l’Etat et son appareil dans un cadre islamique nettoyé du discours populiste pseudo anti-impérialiste et qui se plierait au diktat du FMI, chaque partie devrant se débarrasser de sa frange intransigeante, incontrôlable. Processus qui a demandé des années de négociations et des années de luttes. Le bilan de cette guerre civile larvée et sordide pour obtenir les faveurs impérialistes : entre 150 000 et 200 000 morts et quelque 10 000 disparus. Les impérialistes auraient pu s’arranger aussi bien avec les islamistes qu’avec les généraux. C’est particulièrement le cas de l’impérialisme U.S. Après tout, le noyau dur des égorgeurs a été les « afghans », ces fanatiques réactionnaires qui ont combattu l’Armée rouge en Afghanistan avec l’appui de la CIA. Ils se connaissent déjà, même si, ultérieurement, ils ont eu des problèmes avec les Bin Laden et autres talibans.

De plus, le programme du FIS était plutôt en avance sur les autres fractions bourgeoises quant à la « libéralisation » de l’économie, et les commerçants sont devenus ainsi les principaux bailleurs de fonds du FIS, car le secteur commercial privé voulait la suppression du monopole du commerce extérieur. « Quelques-unes des idées du FIS, telles que le soutien à une économie plus ouverte, pourraient  être avantageux pour le pays, si elles étaient réellement mises en pratique par un gouvernement islamique » disait un éditorial du Wall Street Journal  (14 janvier 1992). A la même époque, l’armée américaine avait commandé une étude à la Rand Corp., institut privé spécialisé dans les recherches sécuritaires, sur les conséquences d’une prévisible prise du pouvoir par les islamistes. L’étude de Graham Fuller, publiée sous le titre Algérie : le prochain État islamiste ?, concluait notamment :  « Le FIS probablement serait favorable à des investissements du secteur privé américain en Algérie et à des relations commerciales étroites avec les États-Unis. »

En janvier 1995, sous les auspices de l’association catholique Sant’Egidio, un conclave entre huit partis algériens (du FLN au FFS et au FIS, et y compris au PT) s’est tenu pour élaborer un « contrat national ». Tentative de conciliation qui ne représentait rien d’autre que la candidature de ces partis à la gestion « démocratique » de l’austérité en Algérie. Devant ce défi, Zeroual lui-même décidait de rechercher la conciliation avec les islamistes. Proclamant la guerre gagnée (ou au moins contenue), il démissionnait et nommait comme candidat Bouteflika, ancien chef de la diplomatie du FLN. Deux mois après son élection, l’AIS (Armée islamique du salut, bras armé du FIS) proclamait un cessez-le-feu unilatéral, suivi le mois d’après du pardon accordé par le pouvoir, lors de la fête de l’Indépendance, à 2 300 islamistes emprisonnés. Une loi de « réconciliation nationale » accordant l’amnistie aux membres et sympathisants de l’AIS fut soumise à référendum et approuvée le 16 septembre 1999.

Janvier 2000 : l’AIS se rend. Bouteflika réussit à constituer une coalition gouvernementale incluant aussi bien les « éradicateurs » du RCD que les islamistes du MSP (ex-Hamas, qui s’est même vu attribuer le ministère du travail). La paix n’est pas revenue pour autant. Des branches du GIA et le Groupe salafiste pour la prédication et le djihad (GSPD), dirigé par Hassan Hattab, ont dénoncé la « concorde civile » et ont continué à attaquer des civils, des postes de sécurité et des patrouilles militaires. Certains rapports font état de plus de 9 000 morts pour l’année 2000, dont les trois-quarts étaient des civils – autant que pendant les années noires de 1994 ou de 1995. De toute façon, les meurtres et  accrochages restent quotidiens. Mais cette « violence tolérable » est largement limitée à des régions rurales et montagneuses comme la Kabylie. Elle ne touche surtout pas des zones exploitées à outrance par les impérialistes (et tout particulièrement les champs pétrolifères du sud).

Socialisme ou barbarie: la paupérisation de l’Algérie

Pendant ce temps les masses algériennes sont prises en tenaille entre la lutte sanglante des fractions bourgeoises et la « thérapie de choc » dictée par le FMI. La « réforme » économique tant vantée par le gouvernement ne signifie rien d’autre qu’une misère pour les masses travailleuses. Retour à la case départ : fin 2000 la dette extérieure à moyen et long terme atteint quelque 25 milliards de dollars (elle était 26,5 milliards en 1990). Ce désendettement modeste est acquis au prix d’un désinvestissement industriel catastrophique. La hausse des prix du pétrole l’année dernière permettra seulement de retarder les échéances (le secteur des hydrocarbures représente 97 pour cent des recettes d’exportation) mais l’économie algérienne est dévastée.

L’Algérie : source de matière primaire pour les impérialistes. La carte montre les gazoducs qui relient les champs de production algériens avec l’Europe. (Dessin: Arte)

Les salaires ont diminué de moitié en moins de dix ans. Même les couches moyennes sont durement frappées – l’Algérien moyen est devenu pauvre et l’Algérien pauvre est devenu misérable. Alors que dans les années 80 le pays pouvait s’offrir l’illusion du plein-emploi, dans les années 90 le chômage atteint presque 40 pour cent de la population active (environ huit millions de personnes, dont 80 pour cent ont moins de 30 ans). Dans le cadre du Programme d’ajustement structurel (PAS), entre 1994 et 1997 le chômage officiel est passé de 1,7 millions à 2,4 millions de personnes. Douze millions d’Algériens, soit deux personnes sur cinq, vivent dans la pauvreté, deux millions dans la pauvreté extrême. Deux millions et demi de personnes vivent maintenant dans les bidonvilles, pendant que des maladies que l’on pensait éradiquées (tuberculose, typhoïde, choléra) resurgissent.

Une poignée de nouveaux riches – le « mafia des conteneurs » – pavoise. Les villas poussent comme des champignons pendant que les enfants fouillent les ordures dans les décharges publiques d’Oued Smar et El Karma. Mais cette bourgeoisie parasite, qui fait brûler des usines pour garantir ses affaires de « importe-importe » (le marché noir en gros), a toujours existé dans le « socialisme à l’algérienne ». La tentative d’industrialiser le pays par l’achat d’usines « clés en main » en utilisant les recettes pétrolières a fait faillite. Dans la dernière décennie la privatisation a avancé à pas de géants. Ainsi l’aéroport d’Alger sera mis en concession à la banque d’affaires américaine Sterling Merchant Finance (devançant BNP Paribas et la Société Générale) et le bradage du réseau ferroviaire de la SNTF est prévu. Lors d’une session du forum algéro-allemand, un porte-parole de l’impérialisme allemand vient de rappeler brutalement les réalités du monde post-soviétique: « Il ne suffit pas de dire venez, nous avons des projets » (Le Matin, 8 mai)

L’Algérie reste un terrain de rivalité entre les impérialistes européens et américain, en dépit des théories de la « mondialisation » du capital. Si dans le passé Washington laissait le primat à Paris dans les ex-colonies françaises, ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’« International Crisis Group », qui se veut un centre de recherche sécuritaire « multinational » (impérialiste), remarquait dans une étude datant d’octobre 2000: « Plusieurs officiers supérieurs formés en Europe tentent de limiter l’influence grandissante des Américains et travaillent à resserrer les liens avec le vieux continent, notamment dans des institutions telles que l’UEO (...) ». Mais l’ambassadeur américain se félicite: « Les Etats-Unis sont en meilleure position pour encourager des changements positifs » (El Watan, 21 juin 2000). La visite d’une délégation militaire de l’École de guerre de l’Armée américaine (U.S. Army War College) en mai ne fait que souligner le point. Maintenant on parle de manœuvres militaires de troupes de l’OTAN dans la région, les premières manœuvres de ce genre. Nous appelons la classe ouvrière, tant du Maghreb que de l’Europe et de l’Amérique du Nord, à se mobiliser contre une intervention impérialiste éventuelle. L’OTAN hors de la Méditerranée ! Il faut balayer l’impérialisme par la révolution socialiste internationale !

La conquête de l’indépendance de l’Algérie et la défaite du pouvoir colonial ont été une victoire, gagnée de haute lutte ;  mais les accords d’Evian ont scellé son statut néo-colonial. En dépit des prétentions socialistes et révolutionnaires des premiers gouvernements du FLN, en réalité le pays n’a jamais rompu la camisole de force impérialiste. Tant que l’URSS a existé, l’Algérie a pu bénéficier d’un contrepoids aux exactions des grandes puissances capitalistes, et même implanter des complexes industriels sous forte protection douanière ; mais ces derniers étaient incapables de faire face à la concurrence internationale. Déjà avant l’effondrement des régimes staliniens du bloc soviétique, le régime Chadli éventrait l’industrie nationale. Maintenant, soumise au tout-puissant marché capitaliste mondial, elle est sur le point de disparaître. Ce sont les travailleurs algériens qui en feront les frais. Les nationalistes veulent faire revivre une économie (capitaliste) nationalisée pour retourner à un passé doré imaginaire, aujourd’hui impossible. Les trotskystes disent sans ambages : il faut lutter pour la révolution socialiste internationale.”

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Pour lire la Déclaration de la Ligue pour la Quatrième Internationale : Déclaration de la LQI



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