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novembre 2005 
La condition de la victoire : mobiliser la classe ouvrière

Québec : bilan de la grève étudiante de 2005

Manifestation de la CASSÉE à Montréal, 12 mars 2005
Manifestion de quelques milliers de grévistes à Montréal le 12 mars 2005,
convoquée par la Coalition de l’Association pour une solidarité syndicale
étudiante élargie (CASSÉ).
(Photo: Centre des médias alternatifs du Québec)

Il faut forger un parti ouvrier révolutionnaire !

D’un correspondant à Montréal

L’hiver et le printemps 2005 ont été marqués par la plus importante grève étudiante de l’histoire du Québec. Même en 1968, année de mobilisations étudiantes et ouvrières importantes au niveau international, le milieu de l’éducation québécois n’avait pas connu un débrayage de cette ampleur. Le mouvement de grève a été lancé le 24 février et s’est terminé le 11 avril : sept semaines au total. Plus de 200 000 étudiants et étudiantes y ont participé, dont environ 80 000 pour toute la durée de la grève. Le détonateur du mouvement a été la décision du gouvernement libéral de Jean Charest de convertir 103 millions de $ de bourses en prêts en 2004, ce qui signifie une forte augmentation de l’endettement des étudiants, à laquelle s’ajoute la dégradation continuelle du système d’éducation québécois.

Le gouvernement a été fortement fragilisé par ce débrayage, l’ « opinion publique » étant plutôt favorable aux étudiants malgré une intense propagande médiatique bourgeoise cherchant à présenter les participants et participantes à la grève comme étant des « vandales et des violents ». Le taux d’impopularité de ce gouvernement, déjà très élevé, a monté en flèche pour avoisiner les 80 pour cent. Et pourtant, la grève s’est terminée par un échec. Il faut se demander pourquoi ? La défaite de cette « grève historique » s’explique surtout par son programme circonscrit, limité aux revendications défensives ; un cadre organisationnel qui ne dépassait pas les divisions entre plusieurs fédérations et associations en compétition (absence d’un comité de grève de délégués élus par les assemblées générales) ; et son isolement de la classe ouvrière, seule force capable de vaincre le gouvernement bourgeois. L’enjeu principal était l’absence d’une direction révolutionnaire.

La grève a été lancée par la CASSÉE, coalition fondée à l’initiative de l’ASSÉE (Association pour une solidarité syndicale étudiante). Cette dernière fait partie d’une tradition de militantisme étudiant remontant aux années 70 et 80 avec l’ANEEQ (Association nationale des étudiants et étudiantes du Québec) et ensuite le MDE (Mouvement pour le droit à l’éducation) dans les années 90. En opposition à cette tradition de lutte, même si strictement étudiante, se trouvent les deux fédérations droitières, FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec) et la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec), traditionnellement inféodées au Parti Québécois et spécialistes en chef du sabotage des mobilisations étudiantes remontant aux années 90.

En 1996, lors d’une grève contre la volonté du gouvernement péquiste de l’époque, dirigé par Lucien Bouchard, d’augmenter les frais de scolarité au niveau universitaire et d’imposer des amendes aux élèves du collégial qui échoueraient à plus de cinq cours (la tristement célèbre « taxe à l’échec »), les deux fédérations ont dénoncé le mouvement de grève déclenché par le MDE (« prématuré », selon elles). Elles se sont empressées alors de négocier une entente bidon avec la ministre de l’Education, Pauline Marois, donnant leur aval à la taxe à l’échec en échange de la promesse du gel (temporaire) des frais de scolarité et, encore plus scandaleux, à une hausse importante des frais de scolarité pour les étudiants étrangers.

La FECQ et la FEUQ sont un tremplin pour des apprentis politiciens et bureaucrates syndicaux et communautaires. Deux jeunes députés péquistes, Jonathan Valois et Nicolas Girard, sont des anciens dirigeants de la FEUQ, ainsi que le nouveau vice-président du PQ, François Rebello. Nous pouvons mentionner également l’ancien ministre péquiste et nouveau chef du PQ, André Boisclair, qui fut président de la FAECQ (Fédération des associations étudiantes collégiales du Québec), l’ancêtre de la FECQ. La recherche de carrières prestigieuses dans les rangs de la bourgeoisie « souverainiste » en paroles constitue une priorité fondamentale pour tous ceux et celles qui se trouvent à la tête de ces fédérations, bien davantage que la défense, même limitée, des intérêts des étudiants et étudiantes.

La coupure de plus de 100 millions de $ d’aides financières aux étudiants a eu pour effet d’appauvrir les étudiant(e)s originaires de la classe ouvrière et d’augmenter leur niveau d’endettement déjà élevé. La bourgeoisie québécoise (toutes tendances politiques confondues) a beau se vanter continuellement du fait que les frais de scolarité des universités québécoises soient les plus bas d’Amérique du Nord. Quand même, bon nombre d’étudiants d’origine prolétarienne (et aussi de classe moyenne) croulent sous leur dette d’études en quittant l’université. Avec un baccalauréat complété, on peut se retrouver facilement avec une dette de 20 000 $ et plus. Pour ceux qui font des études avancées (maîtrise et doctorat,) la dette peut atteindre facilement les 40 000 $.

Le remboursement des prêts étudiants n’est pas une mince affaire pour quiconque travaille à bas salaire. Contrairement à la propagande bourgeoise, les études universitaires ne mènent pas automatiquement à des emplois « bien rémunérés ». Loin de là ! Avec les attaques constantes du capital contre les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière pour compenser la chute tendancielle du taux de profit, il y a une énorme pression à la baisse sur les salaires. Le fait que le gouvernement fédéral a décrété depuis 1997 que les étudiants et étudiantes doivent attendre dix ans après la fin de leurs études pour avoir le droit de déclarer faillite oblige un grand nombre d’entre eux à tirer le diable par la queue pour être capables de mener une existence « décente » dans cette société capitaliste.

Le déclenchement de la grève a eu lieu le 24 février dernier après une campagne de mobilisation menée par l’ASSÉE depuis octobre 2004. Une semaine auparavant, soit le 16 février, plus de 150 étudiants et étudiantes ont manifesté à Montebello en Outaouais pour perturber la tenue d’un caucus du Parti Libéral du Québec, dans le but de dénoncer la fermeture totale du gouvernement Charest face aux revendications étudiantes. Le résultat fut une intervention policière musclée, beaucoup de brutalité et d’arrestations. Les éditorialistes de la presse bourgeoise en ont profité comme d’habitude pour dénigrer les « étudiants casseurs et violents » et pour prendre la défense du gouvernement libéral.

L’intransigeance de ce dernier n’a fait que croître. Le ministre de l’Éducation, Jean-Marc Fournier, a déclaré que la grève étudiante était illégitime. Le premier ministre, de son côté, a dit que les étudiants du Québec étaient les mieux traités au monde et que leur débrayage n’était qu’un caprice d’enfants gâtés. Ces déclarations incendiaires ont contribué à galvaniser le mouvement de grève qui a atteint 45 000 étudiants et étudiantes le 1er mars. La FECQ et la FEUQ se trouvèrent rapidement débordées et, pour ne pas être davantage marginalisées, lancèrent à leur tour un appel à la grève le 8 mars suite au refus catégorique du ministre Fournier de réinjecter les 103 millions coupés dans le prochain budget du gouvernement québécois.

Débrayage dans les écoles sécondaires le 10 mars 2005 s’en prend au ministre de l’Éducation Fournier.  (Photo: BadAcid)

Les fédérations désiraient surtout prendre le contrôle d’un mouvement qui jusque-là échappait à leur emprise. Elles centrèrent leur campagne sur la coupure des 103 millions de $, comme si la résolution de cette seule revendication règlerait tous les problèmes. La FECQ et la FEUQ tenaient à montrer une image « respectable et raisonnable » et à jouer un rôle d’interlocuteur « crédible » face au gouvernement. La CASSÉÉ dénonçait aussi l’ensemble de la réforme des prêts et bourses et le projet de décentralisation du réseau des cégeps, porte ouverte à la privatisation et donc aussi à la hausse des frais de scolarité. Mais, alors que l’ASSÉÉ se prononce formellement pour la gratuité de l’éducation publique universitaire, elle n’a pas lutté pour cette revendication fondamentale pendant la grève.

Le 7 mars, la CASSÉÉ occupa le bureau de comté du ministre Jean-Marc Fournier à Châteauguay. Une intervention policière musclée pour déloger les étudiants et étudiantes provoqua une confrontation entre ces derniers et la police, ce qui eut pour effet d’abîmer du mobilier dans le bureau. Il n’en fallut pas plus pour que la presse bourgeoise se déchaîne contre la CASSÉÉ, accusée de pratiquer la « violence et le vandalisme ». Étant donné que la CASSÉÉ a refusé, avec raison, de condamner les gestes bien mineurs commis par certains de ses membres en réaction à la brutalité policière, le ministre Fournier en a profité pour l’exclure de la table des négociations, pour le plus grand bonheur de la FECQ et de la FEUQ, qui en profitèrent pour imposer leur agenda corporatiste de « concertation et de partenariat ».

Dans la nuit du 10 au 11 mars, la police d’émeutes mettait fin à l’occupation d’un atelier de l’Université de Québec à Montréal (UQAM), avec l’arrestation de 48 de ses occupants. Pourtant, la répression n’a pas pu étouffer la volonté de lutte des étudiants. La CASSÉE organisa une manifestation regroupant plus de 8000 personnes au centre-ville de Montréal le 12 mars. Par la suite, elle mena des actions de perturbation économique, notamment au port de Montréal, au Casino et à la Tour de la Bourse et elle occupa les bureaux du Conseil du Patronat du Québec et du ministère des Finances. Entre-temps, le mouvement de grève fit rapidement tache d’huile et des associations qui d’habitude ne font pas grève se rallièrent au mouvement, ce qui indiqua l’ampleur du mécontentement contre les politiques réactionnaires du gouvernement Charest.

Quant à la FECQ et la FEUQ, elles organisèrent une manifestation rassemblant des dizaines de milliers de personnes au centre-ville de Montréal le 16 mars. Mais, en coulisse, les tractations pour une entente au rabais se sont poursuivies entre le ministre de l’Éducation et les deux fédérations, sans informer la population étudiante concernée. Pour comprendre le rôle de ces bureaucrates étudiants, il faut examiner la politique du Parti Québécois, l’opposition officielle, lors de cette grève. En effet, le PQ a tenté dès le début de récupérer le mouvement de débrayage étudiant à des fins partisanes. Ainsi avons-nous pu entendre le chef péquiste, Bernard Landry, un « néolibéral » pur et dur, exhorter le PLQ à répondre aux revendications étudiantes. Pourtant, il est facile de se rappeler les coupures draconiennes effectuées par le PQ dans les années 90 au nom du sacro-saint déficit zéro, dont le même Landry fut un des principaux artisans.

Le Parti Québécois a largement pavé la voie aux politiques actuelles de démolition sociale du Parti Libéral du Québec et, s’il reprend le pouvoir, il continuera sur la même lancée malgré ses promesses mensongères et démagogiques. Tous les partis politiques de la bourgeoisie, de gauche comme de droite, appliquent les mêmes politiques d’austérité budgétaire et les mêmes attaques antiouvrières pour faire face à la crise du capitalisme. Le sort des étudiant(e)s québécois(es) est le même que celui des travailleurs et travailleuses au Québec, dans tout le Canada et à travers le monde. On n’a qu’à regarder du côté de l’Allemagne par exemple, avec le programme de compressions budgétaires Agenda 2010 mis en œuvre par la social-démocratie, pour comprendre que parler d’un « État providence » plein de programmes sociaux est désormais une illusion.

La très légitime colère des travailleurs et travailleuses du Québec contre les gouvernements libéraux de Jean Charest à Québec et Paul Martin à Ottawa ne doit surtout pas être récupérée par le PQ ni par les nouveaux partis petits-bourgeois de l’UFP (Union des forces progressistes) et Option Citoyenne. Les belles paroles que tous ces partis adressent aux travailleurs et travailleuses (le revenu minimum garanti, un grand chantier de logement social, le salaire minimum à 10$/heure, la semaine de 32 heures payée 40 heures, etc.) à l’heure des élections vont se révéler rapidement n’être que des mensonges copieux une fois qu’ils exerceront le pouvoir pour le compte du capital. Et la promesse du PQ d’une vague « souveraineté-association » ou même d’un Québec indépendant sous la botte du capital se révélera vide pour les exploités.

La Ligue pour la Quatrième Internationale insiste qu’il n’existe aucune solution pour la classe ouvrière à l’intérieur du système capitaliste. Nous appuyons l’indépendance du Québec dans le but de mettre fin à l’oppression nationale historique de la nation québécoise et aussi pour briser l’emprise mortelle du nationalisme bourgeois et petit-bourgeois sur la classe ouvrière québécoise. Enlever la question nationale de l’ordre du jour permettra de montrer aux travailleurs québécois et canadiens-anglais que leurs ennemis véritables sont leurs capitalistes respectifs et non la classe ouvrière de l’autre nation. Il faut souligner que la volonté des bourgeois québécois du PQ d’être « maîtres chez nous » n’aidera en rien les travailleurs, les étudiants, les immigrants, les peuples autochtones, les femmes et  tous ceux qui sont opprimés sous le capitalisme canadien et le seront aussi dans un capitalisme québécois (sous les ordres des banques new-yorkaises).

Alors que la CASSÉE dénonce la « crise des finances publiques » comme « un mensonge honteux de l’État néolibéral », nous insistons que l’origine des compressions budgétaires et des « réformes » qui font de l’éducation post-secondaire chaque fois plus un privilège de la bourgeoisie et des couches aisées de la petite-bourgeoisie, au lieu d’un droit de tous, n’est pas le « néolibéralisme », c’est le capitalisme tout court. Et justement à cause de cela, la condition pour gagner les luttes des étudiants québécois est de les lier, dès le départ, avec le mouvement ouvrier et d’autres luttes des travailleurs et travailleuses. 

Ainsi, au beau milieu de la grève, le gouvernement libéral annonça des coupures dans le régime d’aide sociale de l’ordre de 150 millions de $. En même temps, les enseignants descendaient dans la rue pour leurs propres revendications. Les assistés sociaux québécois ont déjà subi des compressions budgétaires draconiennes de la part du PQ et du PLQ – on n’a qu’à penser à la Loi 37 du gouvernement libéral de Robert Bourassa et à la Loi 186 du gouvernement péquiste de Lucien Bouchard/Bernard Landry. Bien entendu, la FECQ et la FEUQ en bons relais du PQ n’ont pas réagi à cette annonce, alors que la CASSÉE s’est empressée d’exprimer sa solidarité avec les personnes assistées sociales qui étaient sur le point de passer à leur tour dans le collimateur du gouvernement Charest. Cela représenta une occasion en or de construire des liens de solidarité et d’élargir la lutte contre les politiques antisociales de l’État québécois.

Voyons ce qui s’est passé. Le 30 mars, les professeurs des cégeps débrayaient devant 20 établissements collégiaux. Selon Le Devoir (31 mars), « d'autres mandats de grève limitée étaient adoptés par les 87 500 employés de la Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE-CSQ) et de l'Association provinciale des enseignants du Québec (APEQ) ». Le 31, une manifestation fut organisée au centre-ville de Montréal par la CASSÉE conjointement avec des groupes populaires, dont l’Organisation populaire pour les droits sociaux (OPDS), pour dénoncer les coupures à l’aide sociale. Par la suite, le gouvernement recula partiellement sur sa décision et coupa « seulement » 80 millions de $ dans le budget de l’aide sociale. Mais, alors même que la manif du 31 mars représentait un pas dans la bonne direction, on en est resté là.

Les tractations se poursuivirent dans l’ombre entre les fédérations étudiantes et le gouvernement libéral. Au début d’avril, une entente de principe intervint qui maintenait l’intégralité de la coupure de 103 millions de $ pour l’année scolaire en cours (2004-2005), qui la réduisait de 70 millions pour la prochaine année (2005-2006) et qui réinjectait la totalité de la somme seulement à partir de 2006. Tous les autres aspects de la « réforme » de l’aide financière étaient maintenus et rien n’était prévu pour soulager l’endettement croissant des étudiants du Québec. La Fondation des Bourses du Millénaire, créée par le gouvernement fédéral, vint à la rescousse du gouvernement québécois avec des sommes d’argent qui avaient été retranchées du programme de prêts et bourses suite aux coupures effectuées par les libéraux au printemps 2004.

La FECQ et la FEUQ étaient trop contentes de montrer leur « bonne volonté » face à la bourgeoisie et de mettre un terme à un mouvement qui échappait à leur emprise depuis le début et qui menaçait leur prétention de s’afficher comme les « représentants » de la population étudiante. Leur attitude fut tout à fait identique à ce qui s’est passé lors de la grève de 1996, soit de poignarder dans le dos un mouvement de grève qui leur était complètement étranger, à la différence que cette fois-ci c’était le plus grand débrayage étudiant de l’histoire du Québec. Peu après la conclusion de l’entente, des étudiants membres de la FEUQ, exprimant la colère de leurs copains floués, ont saccagé les bureaux de cette dernière pour dénoncer la trahison qui avait été perpétrée par les ambitieux bureaucrates étudiants.

La CASSÉE recommandait initialement le rejet de ce qu’elle appelait « une entente au rabais », laquelle représentait en réalité l’échec du mouvement. Cependant, plusieurs associations étudiantes, sans doute essoufflées par plus de cinq semaines de grève, votèrent pour le retour en classe tout en rejetant l’entente. Finalement, la CASSÉÉ recommanda le 11 avril de mettre fin à la grève tout en promettant de continuer le combat contre les coupures du gouvernement libéral. Néanmoins, les « grèves tournantes » des enseignants continuèrent jusqu’à mi-mai. C’est ainsi qu’une lutte, qui à son point culminant englobait jusqu’à 230 000 grévistes étudiants et pouvait s’étendre à presque 100 000 enseignants, s’est soldée par une défaite. Au lieu de cloisonner les luttes de chaque secteur, ce qui est presque toujours une garantie de défaite et de recul, il fallait fusionner toutes les luttes ouvrières contre les politiques d’austérité de l’État bourgeois.

Quant au rôle joué par la CASSÉÉ dans ce mouvement de grève, la combativité qu’elle a démontrée dès le début tranche avec l’opportunisme éhonté de la FECQ et de la FEUQ. Mais des actions combatives ne peuvent pas compenser l’absence d’un programme de lutte de classe. La revendication abstraite de l’ASSÉE pour la gratuité scolaire restait ainsi lettre morte, ne jouant aucun rôle dans la grève. Même lorsqu’elle revendique un « syndicalisme de combat », pour l’ASSÉE les « différents moyens de pressions (manifestations, grèves, occupations) » étaient conçus seulement pour « mettre la pression sur l’autre partie » (Ultimatum, octobre 2005). C'est-à-dire qu’elle aussi, tout autant que les fédérations acquises au PQ, considérait que son propos était de négocier avec Charest, seulement avec un meilleur « rapport de force ».

Les deux concurrents du syndicalisme étudiant partagent la même « politique de pression » bourgeoise. Il n’y a pas là une différence qualitative, seulement tactique. L’ASSÉE se vante d’être « progressiste », promettant « la solidarité syndicale avec toute lutte internationale progressiste visant le mieux-être de la société ». Pareilles formules vagues caractérisent les fronts populaires, tels l’Unité Populaire de Salvador Allende au Chili ou leur reflet au Québec, l’UFP et Option Citoyenne, qui cherchent à amarrer les travailleurs et opprimés à un secteur de leurs patrons et oppresseurs bourgeois. Pour les révolutionnaires prolétariens, par contre, les luttes de chaque secteur devront être guidées par la nécessité de faire accroître la conscience de classe de la nécessité d’unir les opprimés dans une lutte commune contre le capital et ses agents.

Si la FECQ et la FEUQ se présentent comme des sous-fifres du PQ, l’ASSÉE ambitionne tout au plus d’être le relais pour une « option » politique bourgeoise plus « progressiste » que celle du PLQ, alors que la tâche primordiale, dans la grève étudiante comme dans toute autre lutte sociale, au-delà des revendications particulières, est de préparer la classe ouvrière et tous les déshérités pour le combat contre le système capitaliste qui est à l’origine de tous les maux qui les assaillent, depuis la guerre-occupation impérialiste de l’Irak jusqu’à l’offensive contre les garderies d’enfants au Québec. Ils cherchent une réforme impossible de ce système de guerres, de racisme et de misère, alors que le vrai enjeu est de le renverser.

Manifestation de la CASSÉE à Montréal, le 24 mars 2005
Cortège des grévistes de l’ASSÉ à Québec, le 24 mars 2005. (Photo: BadAcid)

L’ASSÉÉ a présenté des « solutions » au gouvernement pour financer la réalisation de ses revendications, dont la principale était la fameuse réforme de la fiscalité. Cette dernière constitue la revendication majeure de toute la gauche réformiste, dont le célèbre professeur de comptabilité de l’UQAM Léo-Paul Lauzon et sa Chaire d’Études socio-économiques. Elle consiste principalement à supprimer les abris fiscaux dont bénéficient les grandes compagnies et les individus les mieux nantis pour faire en sorte que « les riches payent leur juste part d’impôt ». Comme si les capitalistes qui contrôlent l’État vont accepter d’alourdir leur fardeau fiscal ! Il faut préciser ici que, contrairement à ce prétendent les réformistes de tout acabit, l’État n’est pas un arbitre neutre entre les classes sociales mais l’instrument de la classe dominante.

La revendication d’une fiscalité plus « juste » a même déjà figuré dans le programme électoral de certains partis bourgeois, comme le Parti Libéral fédéral en 1993 et le Parti Québécois en 1994, pour tomber aussitôt dans l’oubli après les élections. Aucun gouvernement bourgeois n’« osera » mettre cette réforme en application, parce que, sans aucun doute, les entreprises déménageront rapidement vers un pays où le fardeau fiscal est plus « léger ». C’est là une expression du caractère mondial du marché capitaliste, qui n’est pas le produit d’une « mondialisation » récente mais une des tendances intrinsèques du capitalisme dès sa naissance. Et la réforme de la fiscalité ne fera pas un « autre monde possible » et meilleur ; l’époque de l’État-providence est révolue, surtout depuis l’effondrement contre-révolutionnaire de l’URSS et des États ouvriers déformés de l’Europe de l’Est entre 1989 et 1991.

Aujourd’hui, il n’y a plus de contrepoids aux impérialistes occidentaux auquel la bourgeoisie et leurs chiens de garde sociaux-démocrates se voient obligés de faire concurrence. Ils n’ont plus besoin de présenter le capitalisme « à visage humain », ce qui laisse les coudées franches aux capitalistes pour saccager continuellement les programmes sociaux obtenus par des luttes âpres de la classe ouvrière. Ce qu’il nous faut pour faire face à cette offensive contre-révolutionnaire, c’est surtout forger un parti ouvrier révolutionnaire, léniniste-trotskyste, basé sur l’héritage historique de la Révolution bolchevique de 1917. Seul un tel parti internationaliste pourra mener à bien les luttes de classe internationales pour vaincre les attaques du capital. Comme l’écrivait Léon Trotsky dans le Programme de Transition (1938) de la IVe Internationale :

« Il faut aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de revendications transitoires, partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat. »


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