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février 2001 


Défense du peuple palestinien!

Pour une république ouvrière arabe-hébraïque 
au sein d’une fédération socialiste du Proche-Orient

(première partie)


Cisjordanie, octobre 2000: des jeunes palestiniens insurgés confrontent l'armée israélienne. 
Photo: Reuters

traduction de l’article en anglais publié dans The Internationalist No. 9, janvier-février 2001

Jour après jour pendant quatre mois, des milliers de jeunes Palestiniens sont montés sur les barricades et ont investi les points de contrôle qui entourent leurs villes en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza pour affronter les forces sionistes qui les assiègent. Lançant des pierres à l’aide de frondes, ils bravent le feu des assassins impitoyables de l’armée israélienne et des colons sionistes fanatisés. Chars contre enfants, fusils des tireurs d’élite contre pierres, hélicoptères d’assaut tirant sur les maisons et les véhicules palestiniens: voilà la réalité sanglante que les médias impérialistes décrivent de façon soi-disant neutre comme un « conflit ». Jusqu’à présent, plus de 350 Arabes palestiniens ont été tués et plus de 12 000 blessés dans ce carnage à sens unique. 

Le courage des jeunes Arabes qui ont lancé cette nouvelle intifada (soulèvement) est un courage né du désespoir d’un peuple qui n’a rien à perdre. C’est la vaillance des Juifs qui, dans le ghetto de Varsovie, n’ont pas tenu compte d’un impossible rapport de force militaire et qui se sont soulevés contre la Wehrmacht de Hitler et contre ses SS nazis. Mais, aujourd’hui, c’est « l’Etat juif » autoproclamé (dont l’existence est le résultat de l’Holocauste) qui recourt à la « punition collective » pour écraser la rébellion et qui envoie avec impunité ses Sonderkommandos pour mater la « population ennemie ». 

La révolte palestinienne a été déclenchée par la « visite » du politicien de droite Ariel Sharon sur le site religieux, au coeur de Jérusalem, connu des Juifs sous le nom de « Mont du Temple » et surplombant le Mur occidental (« Mur des Lamentations »). Ce même site est connu des musulmans sous le nom de Haram al-Sharif (« Noble Sanctuaire »), et l’endroit où Sharon s’est pavané est l’esplanade qui se trouve devant la mosquée Al Aqsa. Même les Nations Unies ont qualifié cet acte de provocation. Bien que Sharon ait protesté qu’en tant que Juif il avait le droit de se promener sur ce site sacré, en réalité il était accompagné par toute la direction du Likoud et par un millier de policiers et de soldats israéliens. En plus, deux mille flics et soldats étaient postés partout dans la Vieille Ville pour réprimer d’éventuelles protestations palestiniennes. 

Cette soi-disant affaire privée avait été approuvée par avance par Ehud Barak, le premier ministre de l’époque, le haut commandement militaire et les officiers des services secrets. Le gouvernement avait un but précis en approuvant la provocation de Sharon: au sommet de Camp David en juillet avec Bill Clinton et le dirigeant palestinien Yasser Arafat, le président américain a présenté au nom de Barak un plan bidon pour la « paix » excluant la souveraineté palestinienne sur le site religieux et sur le reste de Jérusalem-Est. Quand Arafat renâcla devant ce diktat, les négociations furent annulées et Clinton dénonça la répugnance des Palestiniens à faire des « compromis ». Le but de la promenade armée de Sharon a été de souligner l’insistance des sionistes à ce que Jérusalem soit la capitale « indivisible et éternelle » d’Israël, ainsi que leur refus de revenir aux frontières d’avant 1967. 


Des soldats israéliens brutalisent un manifestant palestinien à Hebron, cctobre 2000. Photo: DPA

En focalisant sur la mosquée de Jérusalem, la provocation de Sharon cherchait peut-être à déclencher une guerre religieuse, et dans certaines couches palestiniennes la révolte s’est référée à l’intifada d’al Aqsa. Mais les intégristes islamiques n’ont joué qu’un rôle marginal dans les heurts, qui sont dirigés en fait par des jeunes et des milices liées à l’équipe nationaliste et laïque d’Arafat, le Fatah. Et à l’encontre des allégations sionistes comme quoi le rais (leader) palestinien pouvait allumer et éteindre la combativité à volonté, les jeunes combattants en colère ont dénoncé leur propre direction corrompue et impuissante pour sa capitulation devant Clinton et Barak. Au fond, le soulèvement actuel est la poursuite de la première intifada, qui a commencé fin 1988 et qui a continué jusqu’aux pourparlers de « paix » d’Oslo, en Norvège, entre Israéliens et Palestiniens au début des années 90. Quand le « processus de paix » s’est embourbé, les combats ont repris. 

Le premier soulèvement a convaincu les généraux sionistes et les politiciens « travaillistes » que l’occupation des territoires devenait trop coûteuse et qu’il fallait transférer le contrôle de la Cisjordanie et de Gaza à l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP). Les pourparlers ont conduit à la poignée de main entre le Premier ministre israélien Rabin et Arafat dans les jardins de la Maison Blanche en 1994 sous le mot d’ordre de « la terre pour la paix ». Une Autorité palestinienne (AP) a été mise en place, dépendant totalement au niveau financier d’Israël, des USA et de l’Europe; elle a été divisée en deux secteurs (Cisjordanie et Gaza), séparée par les territoires israéliens, et elle n’a eu le contrôle que sur à peine 9% des territoires occupés. Cette « autorité » ne pouvait rien faire pour améliorer la vie des Palestiniens et n’avait qu’une seule fonction: construire, sous la coupe de la CIA, un appareil policier hypertrophié (de sept services secrets différents) avec pour mission d’emprisonner les intégristes islamiques afin de mettre un terme à la terreur des bombes. 

Mais les sionistes ont lancé des bombardements pour terroriser Gaza, Ramallah, Naplouse, Jenin et autres villes palestiniennes pendant des mois, à une échelle beaucoup plus vaste que les quelques autos piégées du Djihad islamique à Tel-Aviv. Et bien que la presse l’ait à peine mentionné, la population entière d’Hébron a été totalement coupée du monde pendant des mois. Des milliers de personnes ont été enfermées dans leurs maisons par un couvre-feu de 24 heures sans cesse prorogé, pendant que les colons sionistes ont perpétré leurs coups de main. Alors que l’armée israélienne s’est livrée à des massacres tous azimuts, une dizaine de soldats israéliens et quelques dizaines de colons ont été tués en représailles. De plus, quelques civils juifs ont aussi été tués par les intégristes islamiques, qui prennent tous les Juifs pour cible, et par des jeunes enragés par les massacres sionistes. Cela a été utilisé par les dirigeants israéliens pour susciter un climat d’« insécurité », qui a amené, le 6 février, à la victoire électorale écrasante du boucher Ariel Sharon, candidat au poste de Premier ministre. L’ex-général Sharon est un meurtrier à une échelle de masse ; il est notamment responsable du massacre de plus de 2 000 Palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila à Beyrouth, en 1982. 


Ehud Barak, le boucher de l'intifada 2000 (à gauche). Ariel Sharon, le boucher des camps de refugiés Sabra et Shatila (à droite). 
Photos: DPA (gauche), Tsafir Abayov/Impact Visuals (droite). 

Les soi-disant sionistes libéraux ont soutenu Barak dans les élections et ont reproché à la révolte palestinienne d’avoir « condamné la politique de paix de M. Barak à l’échec » (New York Times, 7 février). Maintenant ils demandent que Sharon tienne ses promesses de constituer un gouvernement d’« unité » et l’exhorte à « continuer de progresser dans la voie de la réconciliation avec les Palestiniens engagée par ses prédécesseurs » (éditorial de Ha’aretz, 7 février). Sharon a fait campagne sur la base d’une frauduleuse plate-forme de « paix et sécurité », mais ce qu’il entend par « paix » est quelque chose d’assez différent. En 1982, il a ourdi l’invasion israélienne du Liban sous le nom de code « Paix pour la Galilée ». En 1971, il a mis à exécution une campagne qui s’appelait « Pacification de Gaza » : des milliers de maisons palestiniennes dans la Bande de Gaza furent détruites au bulldozer et des milliers de gens furent déportés dans le désert du Negev. Le sens évident des dernières élections est qu’Israël se prépare à une véritable guerre contre la population palestinienne ou, comme Haaretz l’exprime avec « délicatesse », à « une confrontation armée de grande envergure ». 

Côté israélien, tout est prêt depuis longtemps. Depuis l’été dernier, l’armée israélienne n’a rien fait d’autre que mettre en pratique des plans établis il y a plus d’un an, soi-disant pour répondre à une « déclaration d’indépendance » d’Arafat. Les réservistes ont été avisés qu’ils pourront bientôt être mobilisés. Déjà la « Ligne verte » (la frontière d’avant 1967) a été fortifiée avec des barrières et des enceintes en béton, et elle a été déplacée de quelques kilomètres à l’Est en Cisjordanie. Sharon commencera bientôt à sortir des ultimatums. S’il ordonne une « séparation » unilatérale pour annexer les colonies, il mettra ainsi à exécution la menace qu’a brandie Barak en octobre dernier en réponse à la nouvelle intifada. Comme le déclare le chef du Conseil des colons, « nous faisons face à une vraie guerre. Un officiel du Likoud, qui est pressenti pour un poste ministériel, m’a dit ce matin: ‘Jusqu’à présent, c’étaient des gamineries. Maintenant c’est du vrai’ » (New York Times, 8 février). 

Dans cette guerre qui menace aussi bien que dans les confrontations sanglantes actuelles, les marxistes défendent le peuple palestinien et sont fermement de son côté dans sa révolte et sa résistance aux forces d’occupation israéliennes, y compris aux colons sionistes. Partout dans le monde, les ouvriers ayant une conscience de classe doivent exiger : Israël hors des Territoires occupés, y compris hors de Jérusalem-Est et des hauteurs du Golan! Nous défendons le droit des Palestiniens à un Etat indépendant et nous sommes pour les pleins droits de citoyenneté pour la population arabe d’Israël, ainsi que pour le droit au retour des réfugiés palestiniens expulsés en 1948 et 1967. En même temps nous insistons qu’un pseudo-Etat limité à la Bande de Gaza aride et à la Cisjordanie rocheuse ne saurait être qu’un ghetto glorifié pour la population palestinienne. En outre, en tant qu’internationalistes communistes, nous défendons le droit à l’autodétermination aussi pour le peuple de langue hébraïque, un droit démocratique qui s’oppose à « l’Etat juif » d’Israël, qui est en soi antidémocratique. Mais ces droits (pour les Palestiniens et pour les Juifs), s’exprimant sur le même territoire, impliquent qu’une véritable libération pour les masses travailleuses des deux nations ne pourra être atteinte que par une révolution ouvrière arabe-hébraïque et par une fédération socialiste du Proche-Orient. 

La mystification du « processus de paix » d’Oslo

Dès le début, les négociations de « paix » ont été sur l’initiative des dirigeants sionistes et sous la houlette des USA dans le but de soumettre les Arabes à la domination israélienne, de les diviser dans des enclaves isolées, séparées par les autoroutes militaires, et sans moyen de se défendre contre la machine militaire sioniste. En Cisjordanie et à Gaza, les conditions empirent constamment. L’armée israélienne s’est retirée de la périphérie des villes pour éviter des confrontations quotidiennes dans les rues encombrées. Pour autant, l’emprise militaire ne s’est pas relâchée. Le nombre des colons sionistes s’est accru de plus de moitié. Et chaque fois que le gouvernement israélien est mécontent, il ferme la « Ligne verte », empêchant ainsi les ouvriers arabes de venir travailler en Israël. L’étranglement économique a provoqué une baisse des revenus; une famille palestinienne moyenne gagne la moitié de ce qu’elle gagnait en 1994. En plus, parce que le chef de l’AP a signé les accords sur le « redéploiement » des troupes israéliennes, l’ONU ne considère plus la Cisjordanie et Gaza comme des territoires occupés. Arafat est devenu le geôlier en chef et a légalisé l’occupation! 

Les reportages dans les médias sionistes et impérialistes sont imprégnés de racisme. Ils réprimandent les jeunes Palestiniens pour leur refus de se réconcilier avec leurs oppresseurs. Ils dénoncent les parents palestiniens qui enverraient leurs enfants se faire tuer. Cela fait écho à ces vieilles rengaines colonialistes américaines et britanniques comme quoi, pour les Orientaux, « la vie ne vaut rien ». Mais qui tue? Le gouvernement israélien argumente que « des pierres tuent » et envoie ensuite ses tireurs d’élite assassiner des enfants. Une équipe médicale de Physicians for Human Rights [Médecins pour les droits de l’Homme (PHR)] envoyée en Israël, à Gaza et en Cisjordanie fin octobre 2000 a constaté qu’environ 50% des blessures mortelles étaient à la tête, ce qui « suggère que, étant donné les règles générales d’engagement, les soldats visent la tête des gens ». Plus de la moitié des morts à Gaza ont été tués par des armes à vitesse rapide (qui sont les fusils des tireurs d’élite) et presque 40% sont âgés de moins de 18 ans. Des ambulances palestiniennes ont été prises pour cible par les soldats israéliens, et 17 ont été détruites au cours de 64 attaques différentes. Les soi-disant « balles en caoutchouc » utilisées contre les Palestiniens sont en réalité des balles en acier recouvertes d’une pellicule en caoutchouc ou en plastique, pour tuer. 

La presse veut maintenant nous faire croire que le nouveau Premier ministre israélien est un homme de la paix. Chaque fois que le massacre de Sabra et Chatila est mentionné, les articles ajoutent qu’une « enquête officielle » a conclu que le général Sharon était seulement « indirectement » responsable pour la tuerie. Le rapport, rédigé par une commission d’enquête israélienne, était une enquête pour le blanchir. Les deux camps de réfugiés à Beyrouth étaient encerclés par l’armée israélienne. Les troupes de Sharon ont permis aux forces fascisantes des Phalanges chrétiennes de pénétrer dans les camps. Un rapport du 7 février de la Palestinian Society for the Protection of Human Rights [Société palestinienne pour la défense des droits de l’Homme] constate: « Les projecteurs israéliens illuminaient les camps, pendant que le personnel militaire israélien observait avec ses jumelles et que la mort se répandait sans entraves à travers les camps. Des familles complètes ont été tuées ; beaucoup de personnes ont été violées et torturées avant d’être tuées. Tant de cadavres ont été entassés dans les camions et enlevés, ou enterrés dans les charniers, que le nombre exact ne sera jamais connu, mais selon les sources palestiniennes au moins 2 000 personnes ont été tuées. » 

Et ce n’est pas le seul massacre orchestré par Sharon. En 1953 il a fondé l’infâme Unité 101, qui a attaqué le village de Qibya en Jordanie. Sous ses ordres les soldats ont traversé le village, faisant sauter des maisons, tirant sur les portes et fenêtres, tuant 69 civils, pour la plupart des femmes et des enfants. Après la guerre de 1967, il a expulsé 160 000 habitants de Jérusalem-Est de leurs maisons, les détruisant au bulldozer, dynamitant des camps de réfugiés, emprisonnant des centaines de jeunes. 

Mais Sharon est loin d’être le seul criminel de guerre à la direction de l’Etat sioniste. Son prédécesseur, l’ex-général Ehud Barak, a dirigé des commandos d’assassins sous les ordres de Sharon. La soi-disant « colombe » Shimon Peres était le Premier ministre qui, en 1982, a ordonné l’invasion israélienne du Liban, qui était dirigée par Sharon et qui a tué plus de 20 000 réfugiés palestiniens et libanais. Et le soi-disant « Premier ministre de la paix », l’ex-général Itzhak Rabin, a perpétré les massacres de Lydda et Ramallah pendant la guerre de 1948, sous les ordres du dirigeant fondateur d’Israël, David Ben Gourion. Ben Gourion, Rabin, Peres et Barak ont tous été des dirigeants du Parti « travailliste » israélien, en réalité un parti bourgeois qui a fondé et dirigé l’Etat sioniste pendant les trois premières décennies de son existence. Sharon gouvernera en tant que dirigeant du Likoud, parti de droite dont le fondateur Menachem Begin est responsable du massacre de Deir Yassin, en 1948, où 250 Palestiniens sans armes furent tués. Ce carnage faisait partie du « Plan Dalet » dont le but était de vider la Palestine de sa population arabe. 

En ce qui concerne le nombre d’Arabes tués par les dirigeants sionistes et la politique envers les Territoires occupés, les différences entre les « travaillistes » et le Likoud sont de fait imperceptibles pour les Palestiniens. Lors de ses précédentes fonctions dans le cabinet israélien, d’abord comme ministre de l’agriculture puis comme ministre du logement, Sharon a supervisé l’établissement des colonies sionistes en Cisjordanie et à Gaza. Mais ces colonies furent d’abord autorisées par les « travaillistes » puis poursuivies sous Barak. Il y a maintenant quelque 400 000 colons en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza (dont près de la moitié dans les régions annexées au « Grand Jérusalem »). Sharon a juré qu’il ne rendrait pas à un Etat palestinien Jérusalem-Est, la vallée du Jourdain ou les colonies. Mais Barak se vantait qu’il n’avait pas cédé un seul pouce de territoire aux Palestiniens et que « 80% » des colonies seraient annexées. Des informations « lâchées » aux médias prétendaient qu’il avait proposé de rendre « 95% » de la Cisjordanie à l’AP, mais, entre autres subterfuges, ce chiffre laissait de côté les territoires annexés au « Grand Jérusalem ». 

Le nouveau Premier ministre est sans aucun doute un infâme criminel de guerre. Divers groupes de défense des droits de l’Homme et des organisations « pacifistes » en Israël ont réagi en faisant circuler une pétition qui demande que des tribunaux internationaux arrêtent Sharon pour violation des conventions de Genève. Mais c’est absurde! Ce faisant, ils font appel aux forces impérialistes qui ont soumis la Yougoslavie à des bombardements aériens terroristes en 1999 au nom des « droits de l’Homme ». Ces mêmes impérialistes sont responsables pour le « carnage du désert » de la guerre du Golfe en 1991; depuis, leur blocus économique (avec l’aval de l’ONU) a tué plus d’un million d’enfants irakiens. Et ils soutiennent Israël depuis des décennies. Il est bien sûr non moins absurde de compter sur l’ONU, sur l’Union européenne ou sur les Etats-Unis pour créer un Etat palestinien. Cependant, c’est la politique d’Arafat et de l’OLP depuis les débuts de la lutte organisée pour l’indépendance palestinienne. 

Pour préciser, il est évident que Sharon est loin d’être une exception; être un criminel de guerre est une qualification professionnelle requise pour diriger l’Etat israélien. Cela souligne encore plus le fait que, pour renverser les sionistes, il faut une révolution qui détruise l’Etat raciste qu’ils dirigent. Une telle révolution ne peut pas être réalisée simplement par de courageux jeunes gens qui lancent des pierres contre les chars. Leurs actions peuvent seulement montrer dramatiquement l’inégalité du rapport de forces entre Israël et la population palestinienne, dont la grande majorité est sans armes. Mais après quelques semaines ou quelques mois, les médias arrêtent de montrer des images, et la tuerie continue – inaperçue. 

Ce qu’il faut, c’est une lutte victorieuse pour le pouvoir, et les Palestiniens ne peuvent pas mener cette lutte seuls. Comme ils l’ont démontré plusieurs fois depuis 1948, les régimes bourgeois arabes ne sont pas du tout des alliés des masses palestiniennes. Ouvertement (dans le cas du roi jordanien Abdullah) ou tacitement complices, ils ont démembré les restes de la Palestine qui était sous mandat, arrachant les morceaux qu’Israël n’avait pas encore la force de conquérir. La Jordanie a réprimé le soulèvement de 1970 contre la monarchie hachémite – Septembre Noir – dans les camps de réfugiés palestiniens. (Pour sa part, Arafat a refusé de soutenir le soulèvement parce qu’il était dirigé contre un autre dirigeant arabe.) Les régimes libanais successifs, musulmans aussi bien que chrétiens, ont assiégé les camps palestiniens, condamnant leurs habitants à une existence misérable. Gaza sous autorité égyptienne était autant une prison pour ses habitants que sous Israël. 

Une véritable paix en Palestine nécessite une guerre civile en Israël et dans les pays arabes qui l’entourent. La forteresse israélienne doit être prise de l’intérieur et de l’extérieur, ce qui ne peut être réalisé que par la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière qui surmonte ses divisions nationales. Il y a assez de brèches. La pression de la première intifada en Israël a porté un coup mortel à l’unité sioniste en Israël. Des rabbins orthodoxes de droite ont dénoncé Rabin comme étant un « traître » pour avoir été à l’origine des pourparlers d’Oslo, et un fanatique sioniste lié aux cercles fascisants a mis à exécution leur condamnation implicite en assassinant le Premier ministre « travailliste ». Une nouvelle série d’affrontements a de nouveau aiguisé les tensions en Israël. Ainsi, un réactionnaire bien connu, Nadav Shragai, a même écrit à la veille des élections qu’il fallait « relégitimer la cause sioniste » parce qu’un sentiment d’« impuissance » a « généré un état d’esprit de désespoir et le sentiment qu’Israël est au bout du rouleau ». Il faut, selon lui, « restaurer le sentiment qui était jadis répandu en Israël: la croyance que les fondements de l’Etat juif dans les terres natales de nos ancêtres sont justes » (Ha’aretz, 30 janvier). 

Un écrivain juif russe, bien connu, Israël Shamir, a répondu à Uri Avnery, le gourou du « Bloc de Paix » sioniste de gauche (Gush Shalom) et depuis longtemps partisan de la politique de « deux Etats » : 

« Il faut faire face à l’âpre réalité, l’idée de deux Etats en Palestine est, et a toujours été, du bluff. Après une partition qui n’a duré que 19 ans, la Palestine est unie depuis 33 ans (...) . M. Avnery, est-ce vous avez visité Maalot ou Ophakim récemment? Dans ces villes vous rencontrez à peine quelqu’un que vous considérez comme ‘Juif’. Si vous parlez l’ukrainien ou l’amharique vous pourriez vous débrouiller. En vérité, nous n’avons pas seulement deux nations, mais diverses communautés. Les Marocains de Ramle, les Russes d’Ashdod, les petits génies du logiciel d’Hertzliya Pituah, les millionnaires de Caesarea, les colons de Tapuah, les savants de Mea Shearim, les Ethiopéens d’Ophakim, ces communautés constituent une nation sioniste seulement dans les fantaisies de l’establishment sioniste, des colonisateurs d’avant 1948 et de leurs enfants maintenant âgés. ‘Le premier Israël’ a des bonnes raisons pour avoir un tel fantasme : cette minorité a toujours le monopole du pouvoir sur les autres communautés et garde tous ses privilèges. » 
 (« L’avenir est maintenant », 19 janvier).
Les nationalistes palestiniens qui regardent Israël ne voient qu’un monolithe sioniste. Cette vision sera sans doute renforcée par la victoire éclatante de Sharon lors des récentes élections. Mais, en plus du glissement électoral à droite, il y a eu un accroissement énorme du nombre des abstentions, de la part des Arabes israéliens et de nombreux Juifs qui ne supportaient pas l’idée de voter pour Barak. Il y a beaucoup de fissures dans l’Etat sioniste: une majorité laïque et une minorité ultra orthodoxe, les Juifs ashkénazes (européens) et les Juifs misrahis (orientaux), les Arabes, les immigrés russes, les Druzes, une population croissante de travailleurs immigrés (philippins et roumains) dont certains sont « légaux » et d’autres « illégaux ». En l’absence d’un parti révolutionnaire qui lutte pour l’unité du prolétariat, de telles forces contradictoires se polariseront à droite. Une polarisation de classe est possible, même en Israël, mais seulement à travers une lutte politique résolue pour le communisme – aussi bien contre la domination sioniste que contre le nationalisme arabe, qui est une idéologie bourgeoise de désespoir pour les Palestiniens opprimés, tout comme le sionisme le fut pour les Juifs opprimés d’Europe. 

Deux peuples, une terre

Un des critiques palestiniens les plus connus d’Arafat et de la corruption chaotique de l’Autorité palestinienne est Edward Said, un professeur de l’Université de Columbia à New York. (Il y fut la cible d’une répugnante chasse aux sorcières, calomnié par les sionistes, parce qu’il a jeté une pierre à la frontière nord d’Israël à la suite du retrait ordonné par Barak en juin 2000, après presque deux décennies d’occupation sioniste du Sud Liban !) Said fut membre du Conseil national palestinien (le « parlement » de l’OLP) de 1977 à 1991, date de sa démission, parce qu’il considérait comme « désastreux » les termes acceptés par la direction de l’OLP pour participer aux négociations de Madrid et, plus tard, d’Oslo. « Les acquis de l’intifada étaient sur le point d’être dilapidés », écrivit-il, car « Arafat et quelques-uns de ses proches conseillers avaient déjà décidé, de leur propre chef, d’accepter tout ce que les USA et Israël pourraient daigner leur concéder, seulement pour survivre en tant que partie du ‘processus de paix’ » (Edward Said, Peace and its Discontents [Random House, 1995]). 

Said qualifia d’« erronée » la politique du chef de l’OLP, de « vulgaire et répugnant » le « processus de paix » orchestré par les USA, de « faible » et d’« incapable » l’équipe de négociateurs palestiniens. Il a déclaré avec mordant que la « capitulation » d’Arafat l’avait transformé « de dirigeant de la quête de son peuple pour l’indépendance en Buthelezi d’Israël » (le chef du bantoustan zoulou parrainé par l’Afrique du Sud) « ou en chef d’un gouvernement de Vichy » (le régime fantoche des nazis en France pendant la Deuxième Guerre mondiale). Mais Said s’est déclaré lui-même pour « une solution de deux Etats atteinte par des moyens pacifiques » et il ignore le fait que, pendant tout le temps qu’il siégeait au Conseil national palestinien, l’OLP était explicitement en faveur d’un mini-Etat en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qui ne pouvait être autre chose qu’un tel bantoustan ou un tel régime fantoche. 

Les pourparlers d’Oslo et les négociations parrainées par les USA n’ont pas simplement été imposés par les Israéliens ou produits par la trahison ou l’incapacité de la direction de l’OLP, comme le prétend Said. Le « processus de paix » bidon exprime la logique du programme nationaliste bourgeois de l’OLP et de toutes ses composantes, y compris les nationalistes petits-bourgeois de « gauche » qui, dans le passé, ont dissimulé leur programme derrière des phrases « marxistes » et qui aujourd’hui font partie de l’« Autorité palestinienne » corrompue et arbitraire. Depuis la débâcle de 1948, quand plus de 80% de la population arabe fut chassée de ses terres par les sionistes victorieux, les nationalistes palestiniens sont bien conscients que leur puissance militaire et économique est énormément inférieure à celle d’Israël. Bien qu’ils prennent parfois des poses combatives, ils recherchent un compromis avec les impérialistes, en concurrence avec les sionistes pour gagner leurs faveurs. C’est aussi le cas des groupes intégristes islamiques, qui ont été fondés avec la complicité des services secrets israéliens pour faire contrepoids à l’OLP. 

Dans son récent livre, qui a pour titre prophétique The End of the Peace Process: Oslo and After [La fin du processus de paix: Oslo et ses lendemains] (Pantheon, 2000), Said s’engage sur une autre voie. Maintenant, il estime que: 

« La crise actuelle fait miroiter, je crois, la fin de la solution de deux Etats, dont la non-viabilité fut montrée, peut-être de façon inconsciente, par Oslo. Les Israéliens et les Palestiniens sont trop enchevêtrés par l’histoire, l’expérience et l’actualité pour se séparer, bien que chacun proclame la nécessité d’un Etat séparé, et chacun l’obtiendra en fait. Le défi est de trouver un moyen pacifique pour coexister non pas en tant que juifs, musulmans et chrétiens en guerre, mais en tant que citoyens de droit égal du même pays. »
Bien que Said écrive maintenant que le « nationalisme est devenu l’impasse de notre vie politique », il reste un libéral et recherche une coexistence pacifique sur une base purement démocratique (bourgeoise). C’est impossible sous le capitalisme, qui dresse les deux peuples l’un contre l’autre. 

On peut illustrer ce point par plusieurs exemples, mais dans les terres arides de la Méditerranée orientale, séparées par le désert du « Croissant fertile » de la Mésopotamie (le bassin du Tigre et de l’Euphrate) et le bassin du Nil peuplé, l’eau est une question clef. Depuis 1967, l’eau en Cisjordanie est sous contrôle militaire. Il est interdit aux Palestiniens de creuser de nouveaux puits, et 82% de l’eau des aquifères (les sources souterraines de l’eau) de la Cisjordanie est réservée à Israël. En Cisjordanie même, les colons consomment en moyenne six fois plus d’eau que les villageois palestiniens (Journal of Palestine Studies, Winter 2000). Ainsi, la consommation moyenne israélienne d’eau est de 375 mètres cubes par personne et par an, mais la consommation des Palestiniens des Territoires occupés est de 115 centimètres cubes. L’agriculture israélienne, qui contribue à 2% du Produit national brut (PNB), possède un des pourcentages les plus élevés de terres irriguées du monde (environ la moitié de la terre arable). Par contre, dans les territoires palestiniens, où l’agriculture représente 15% du PNB, seulement 6% des terres sont irriguées. 

La question de l’eau en Palestine était centrale aux yeux des sionistes bien avant la naissance d’Israël. En 1919, Chaïm Weizmann, le dirigeant de l’Organisation sioniste mondiale, écrivait au Premier ministre britannique Lloyd George que « tout l’avenir économique de la Palestine dépend de son approvisionnement en eau pour l’irrigation et la production d’électricité ». Dans sa lettre Weizmann proposait de faire du fleuve Litani (qui se trouve aujourd’hui au Liban) la frontière nord de la Palestine. A la fin de la guerre de 1948, Israël n’était limitrophe qu’avec une partie du Jourdain. Mais en 1953 Israël soutirait des quantités immenses d’eau du lac Tibériade pour irriguer sa zone côtière et le Negev, sans que la Syrie ou la Jordanie soient consultées, et commença à détourner les eaux du Jourdain. Quand la Syrie engagea la construction de barrages sur le Yarmuk au début des années 60, pour empêcher l’eau de rejoindre le lac Tibériade, où Israël effectuait ses pompages, les Israéliens attaquèrent ces chantiers. Le Liban soupçonne Israël aussi de pomper l’eau souterraine du bassin du fleuve Hasbani (David Paul, « Water Issues in the Arab-Israëli Conflict » [« Questions hydrauliques dans le conflit arabo-israélien »]). 

Ce n’est pas seulement les Arabes palestiniens et Israël qui s’affrontent à propos de l’eau. Quand la Turquie a coupé le cours du Tigre pour construire le barrage géant Atatürk, la Syrie a riposté en parrainant les guérilleros du Parti ouvrier kurde (PKK). La Turquie a rouvert le robinet. Des conflits similaires ont opposé la Turquie à l’Irak au sujet des barrages qui diminueraient l’écoulement de l’Euphrate, ce qui aurait des effets dramatiques sur l’agriculture irakienne. L’Irak, à son tour, est en train d’assécher les marais de Basra, le pays des musulmans chiites. Cette minorité s’oppose au régime nationaliste du parti Baas, qui est composé de musulmans sunnites. On pourrait multiplier les exemples à volonté. Tout comme pour les conflits autour de la richesse pétrolière du Proche-Orient qui est concentrée entre les mains de quelques émirats du Golfe et de la monarchie saoudienne. Sous le capitalisme ces ressources essentielles « appartiendront » à la nation qui les maîtrise pour l’exploitation exclusive de ses dirigeants. Mais cela décidera grandement de la prospérité ou de la pénurie pour ses habitants et les peuples voisins. Sans les ressources hydrauliques, la Cisjordanie restera pauvre ; mais les Israéliens contrôlent les eaux souterraines et ont repoussé tout accord sur cette question essentielle jusqu’aux négociations « finales ». 

Seule la planification économique socialiste internationale pourra surmonter ce genre de conflit. 
 
 

Pour passer à la deuxième partie l'article: Défense du peuple palestinien!  IIème partie


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