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février 2001 


Défense du peuple palestinien!

Pour une république ouvrière arabe-hébraïque au sein d’une fédération socialiste du Proche-Orient

(deuxième partie) 


Tank israélien vise sur la ville palestinienne de Beit Jala. 
Photo: Yaghob Zaded/SIPA Press

Le marxisme et les peuples interpénétrés

Diverses organisations pseudo-socialistes ont depuis longtemps une politique suiviste envers l’OLP. Comme elles le font avec les autres groupes nationalistes partout dans le monde, elles déclarent que le nationalisme palestinien est « progressiste ». En Israël, le groupement lié au Secrétariat Unifié de feu Ernest Mandel a soutenu ouvertement la mystification des accords de « paix » d’Oslo. Ainsi, une lettre ouverte du dirigeant mandélien Michel Warschawski à un de ses amis qui fait partie du mouvement pacifiste « respectable » cite une lettre antérieure, écrite un jour après la signature des accords d’Oslo: « Tous deux nous sommes maintenant engagés dans la même campagne: réaliser la totale mise en œuvre des accords d’Oslo, dans l’espoir que les nouvelles mesures jetteront les bases pour une paix véritable entre Israël et les Palestiniens. ‘Dans l’espoir’ dis-je, car, à l’encontre de toi, je ne me base ni sur la ‘nécessité historique’ ni sur Itzhak Rabin et son gouvernement » (« Respect mutuel ou guerre religieuse », Workers Liberty n° 68). Même aujourd’hui, Warschawski écrit que la déclaration de Washington de 1993 a provoqué « certains changements, qui ne sont pas insignifiants ». Il prétend que:

 « Yasser Arafat et, qui plus est, les centaines de milliers de militants et de combattants qui le suivent, ne sont pas des marionnettes d’Israël. S’ils ont accepté le diktat israélien, c’est avec l’idée d’obtenir, à la fin de la période de transition, la fin complète de l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza, et un Etat souverain dans les territoires libérés, avec Jérusalem comme capitale. L’histoire dira si cette méthode était la bonne... » 
 (International Viewpoint, novembre 2000).
On a vu que l’histoire a parlé, et son verdict est négatif. 

D’autre part, des groupes de gauche pas moins opportunistes que Warschawski proclament « Victoire à l’Intifada! » et dénoncent (avec raison) Arafat pour sa capitulation devant Israël. C’est le cas du groupe britannique Workers Power (WP) qui fait remarquer dans son journal de novembre 2000 que « le maintien de l’Etat sioniste d’Israël et le plein droit démocratique des Palestiniens à leur propre Etat sont incompatibles » ; mais bien que WP fasse une référence rituelle aux ouvriers juifs et aux grèves générales de l’Histadrouth [le « syndicat » corporatiste sioniste], il ne dit rien des droits nationaux ou même démocratiques de la population de langue hébraïque. Il n’avance aucune perspective de lutte pour la classe ouvrière israélienne. Comment l’Intifada peut-elle alors remporter la victoire? WP appelle (les impérialistes, on doit le supposer) à « rompre tous les liens diplomatiques et commerciaux avec Israël » et à « l’aide inconditionnelle et immédiate des pays arabes voisins », c’est-à-dire des colonels, des rois et des cheikhs. 

Même son de cloche chez la League for a Revolutionary Party (LRP) aux Etats-Unis : « L’autodétermination pour la Palestine: Israël tout entier est un ‘territoire occupé’! » La LRP ne prend même pas la peine de mentionner les ouvriers hébraïques et déclare qu’« Israël sert d’avant-poste fortement subventionné et équipé en armes par les USA » autrement dit une extension de l’impérialisme. La LRP, qui qualifiait l’Union soviétique de « capitalisme étatique », vient de la tradition de Max Shachtman, qui a scissionné du trotskysme en 1940 parce qu’il refusait de défendre l’URSS à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. WP, lui, est originaire de la tendance de Tony Cliff, qui a refusé de défendre l’Union soviétique lors de la Guerre de Corée et qui caractérisait l’URSS de « capitalisme d’Etat ». Ce que la LRP et WP ont en commun, c’est que, « oubliant » la ligne de classe, ils sont à la traîne du nationalisme et s’alignent en fin de compte sur l’impérialisme. 

La version la plus grotesque de cette ligne fut avancée il y a quelques années par le courant pseudo-trotskyste de feu Nahuel Moreno en Amérique latine. Dans son organe Correo Internacional (septembre 1982) il déclara : « Il n’y a pas d’autre moyen de détruire l’Etat sioniste que d’expulser les sionistes. » Il a rendu cela plus explicite en ajoutant que si quelqu’un pensait qu’il y a des « habitants juifs non sionistes » en Israël, « ces habitants imaginaires n’existent pas ». Et pour être doublement et triplement clair, il ajouta encore que la destruction de l’Etat sioniste « implique nécessairement l’élimination des habitants présents » car autrement on serait obligés « d’accepter le fait accompli de l’occupation juive d’Israël ». C’est de l’antisémitisme sans fard qui revient à un appel à « jeter les Juifs à la mer ». Cela rend un grand service aux sionistes, qui prétendent que c’est la véritable position de tous ceux qui s’opposent à leur « Etat juif ». 

La logique de la position moréniste est le génocide, comme c’est le cas pour tout nationalisme poussé à l’extrême. Les nazis de Hitler étaient des nationalistes allemands forcenés, et les fascistes sionistes de Kahane Chai et Kach ne font pas secret de leurs projets d’éliminer la population arabe de « la Judée et de la Samarie ». Ils sont basés en Cisjordanie, où ils recueillent beaucoup de soutien auprès des colons réactionnaires. Le dirigeant fasciste principal, Benjamin Kahane (le fils de Meïr Kahane, l’ancien dirigeant de la Jewish Defense League new-yorkais), et sa femme tombèrent dans une embuscade en Cisjordanie au début de l’année. 

Les plus « modérés » des pseudo-socialistes suivistes du nationalisme palestinien nient tout simplement que les Juifs israéliens ont le droit à l’autodétermination, parce qu’Israël est une nation oppressive. Certains essaient de donner à cela une justification « théorique » en prétendant que l’Israël sioniste est un « Etat colonialiste » [colonial settler state]. C’est le cas des partisans américains de Cliff, qui ont écrit un article sur « l’Etat colonialiste » dans leur journal International Socialist Review (décembre 2000-janvier 2001). Cela met un trait d’égalité entre les Juifs israéliens et les colons blancs de Rhodésie. Mais si l’implantation sioniste en Palestine a commencé en tant que projet de colonisation, elle s’est achevée par la création d’une nation de langue hébraïque de quatre millions de personnes. Et bien que l’Israël sioniste ait besoin d’un soutien impérialiste, il a ses propres intérêts nationaux. Dans le passé, Israël a rompu avec une grande puissance qui la parrainait pour s’aligner sur une autre, quand elle est passée des Britanniques aux Américains. Israël est aujourd’hui fortement subventionné par les USA, mais l’Egypte et la Jordanie le sont aussi. 

Au mieux, les partisans « socialistes » du nationalisme palestinien accorderaient à la population de langue hébraïque des « droits démocratiques » en tant que minorité appartenant à une Palestine bourgeoise à majorité arabe. Ce fut, à l’origine, la position de l’OLP et du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP) de Nayef Hawatmeh. Mais la négation du droit à l’autodétermination pour la population hébraïque signifie ne pas lui offrir d’autre perspective que celle d’une minorité soumise à des discriminations. En tant que léninistes, nous défendons les Palestiniens opprimés contre les oppresseurs sionistes en même temps que nous reconnaissons le droit à l’autodétermination pour toutes les nations: les Arabes palestiniens et la population de langue hébraïque ont tous deux le droit démocratique à un Etat indépendant. 


Refugiée palestinienne à Gaza, janvier 2001. Photo: Reuters.

Cela n’implique pas la reconnaissance d’un droit à l’existence pour Israël, né d’un crime infâme contre le peuple palestinien. Les Arabes furent expulsés de leurs terres et privés de leur droit à l’existence nationale par la force militaire. L’Etat sioniste est, par sa nature même, discriminatoire et oppressif à l’égard des non-Juifs (tels que les Arabes ou les Druzes qui constituent presque un cinquième de la population israélienne). Même les sionistes libéraux comme Uri Avneri s’opposent au simple droit démocratique au retour des Arabes palestiniens sur les terres dont ils furent expulsés. Ils disent que cela détruira Israël. En effet. Que l’on définisse les Juifs d’après des critères religieux ou ethniques, que le régime soit ouvertement théocratique ou qu’il possède les atours de la démocratie bourgeoisie, un Etat qui est explicitement « juif » est forcément antidémocratique, tout comme les Etats « chrétiens » ou « aryens » proclamés par les fascistes et les réactionnaires autoritaires dans l’Europe des années 30. Nous, communistes, luttons contre l’Etat sioniste actuel d’Israël, tout comme nous luttons contre la « République islamique » iranienne qui est nécessairement discriminatoire envers les Juifs, les zoroastriens et les autres minorités religieuses, ethniques et nationales. 

Par ailleurs, parce que le droit à l’autodétermination est un droit démocratique, l’exercice de ce droit devient problématique quand deux nations occupent le même territoire. Les origines d’Israël sont uniques, parce que c’est le produit d’un projet de colonisation qui s’est consolidé en nation. Mais le conflit posé par l’existence des Arabes palestiniens et du peuple de langue hébraïque dans le même espace géographique limité ne l’est pas. On trouve des exemples de « peuples interpénétrés » partout au Proche-Orient, qui a été un carrefour historique, ainsi que dans les diverses parties de l’Empire ottoman. A côté, au Liban, se trouvent des musulmans chiites, des musulmans sunnites, des Druzes, des Alaouites, des chrétiens maronites, des chrétiens orthodoxes grecs, tous organisés sur une base communautaire. En Irak, Syrie, Turquie et Iran, il y a des minorités kurdes importantes. 

Au crépuscule du féodalisme, l’Europe était parsemée de peuples minoritaires. Ils furent ensuite soumis par les nations capitalistes montantes, leurs dirigeants envoyés au bûcher comme hérétiques, leurs langues éradiquées Mais à l’époque de l’impérialisme pourrissant, il n’est plus possible pour les bourgeoisies dominantes d’« assimiler » de tels peuples par le développement économique. Sous le régime capitaliste il n’y a aucun moyen de résoudre démocratiquement des droits concurrents à l’autodétermination nationale pour deux peuples qui occupent le même territoire. Dans un système économique basé sur la concurrence et l’exploitation, l’un ou l’autre sera opprimé. La maîtrise de ressources telles que l’eau et le pétrole ou les routes de transport essentielles déterminera qui vivra dans la richesse et qui dans la misère. De plus, une séparation forcée, dont Barak et Sharon parlent maintenant, sera une affaire brutale, comme le montrent les conflits nationaux et ethniques sanglants dans l’ex-Yougoslavie. 

Dans le cas des peuples interpénétrés et des populations nationales mixtes, le droit à l’autodétermination ne peut être réalisé de façon équitable que sous un régime ouvrier, dans lequel l’économie collectivisée et la planification internationale permettront l’utilisation de ses ressources pour le bien commun. Dans ce cadre, nous, trotskystes, plaidons en faveur d’une république ouvrière arabo-hébraïque. Des Etats nationaux séparés seront difficiles à organiser dans ce pays minuscule, dans lequel la voie la plus courte entre deux endroits passe presque toujours à travers un territoire occupé par l’autre peuple (ce qui explique toutes les « routes détournées »). Les communautés juives et arabes s’y regardent par-dessus des ravines et sont ravitaillées par les mêmes aquifères. Il y a là une seule économie et un seul Etat depuis plus de quatre décennies. Le sort des nations arabe et hébraïque dans le pays de Palestine est inextricablement lié « pour le meilleur et pour le pire ». 

Néanmoins, si le niveau d’hostilité est tel que l’un ou l’autre peuple décide (par des moyens démocratiques) de mener une existence nationale étatique séparée, un gouvernement ouvrier révolutionnaire reconnaîtra ce droit. A l’encontre du capitalisme, cette séparation pourra être accomplie (avec difficulté) d’une façon qui ne porte pas préjudice à l’une ou l’autre communauté, dans le cadre d’une fédération socialiste du Proche-Orient. Mais de tels Etats ouvriers ne peuvent être créés qu’au travers d’une lutte intransigeante contre le sionisme et le nationalisme arabe. Pour rendre possibles une telle fédération et une telle division internationale du travail, la participation des ouvriers arabes et hébreux à une lutte révolutionnaire dans toute la région est nécessaire. 


Affiches du Internationalist Group en octobre 2000 protestent contre la répression sioniste. 

Pour une fédération socialiste du Proche-Orient !

Alors que beaucoup d’opportunistes réformistes et centristes se sont mis de façon éhontée à la traîne d’Arafat et d’autres forces nationalistes, la Ligue communiste internationale (LCI) et la Spartacist League (SL) aux USA ont été longtemps les seules à avancer un programme internationaliste sur la question d’Israël et de la Palestine. En se basant sur les expériences des premières années de l’Internationale communiste, la SL a été la première à étendre et à développer la compréhension trotskyste de la question nationale en ce qui concerne les peuples interpénétrés. Un article en deux parties sur « La naissance de l’Etat sioniste: une analyse marxiste », publié en 1973-74, déclara : 

« Quand les populations nationales sont géographiquement interpénétrées, comme elles l’étaient en Palestine, un Etat-nation indépendant ne peut être créé que par leur séparation par la force (transferts forcés de population, etc.) Ainsi le droit démocratique d’autodétermination devient abstrait, s’il ne peut être exercé que par le groupement national le plus fort chassant et détruisant le plus faible. 
« Dans de tels cas, la seule possibilité d’une solution démocratique réside dans une transformation sociale (...). Sous le capitalisme, le droit à l’autodétermination dans un tel contexte est strictement négatif : c’est-à-dire contre la négation des droits nationaux soit des Arabes soit de la population de langue hébraïque. De cette façon, s’il y avait eu une force armée arabo-palestinienne indépendante dans la guerre de 1948, les marxistes auraient pu lui donner un soutien militaire dans la lutte contre l’expansion de l’Etat sioniste exclusionniste et contre l’attaque des armées de la Ligue arabe, qui ensemble ont supprimé l’existence nationale des Arabes palestiniens. De même, s’il y avait eu une attaque irredentiste des Etats arabes qui menaçait la survie de la nation hébraïque en Palestine, les marxistes auraient pris une position de défensisme révolutionnaire pour la survie de cette nation. »
Après une large discussion, la SL publia une motion qui commençait ainsi: 
« La solution démocratique de l’autodétermination pour chacune des deux nationalités ou chacun des deux peuples géographiquement interpénétrés ne peut se concevoir et être équitablement résolue que dans le cadre du prolétariat au pouvoir. » 
 – Workers Vanguard n° 45, 24 mai 1974
Pendant trois décennies, la SL et la LCI représentèrent la continuité du trotskysme au niveau international. Mais après les victoires contre-révolutionnaires en Europe de l’Est, principalement en Allemagne de l’Est et en Union soviétique, un programme défaitiste a pris pied dans l’organisation. Cela a amené, dans différents pays, à l’exclusion de cadres spartacistes de longue date qui ont formé l’Internationalist Group (IG) et qui se sont unis à la Liga Quarta- Internacionalista do Brasil pour fonder la Ligue pour la Quatrième Internationale (LQI). L’IG et la LQI se basent sur les acquis programmatiques de la LCI et continuent la lutte pour reforger une Quatrième Internationale authentiquement trotskyste, une lutte que la LCI a abandonnée en pratique. Ainsi, dans un article sur la nouvelle Intifada, Workers Vanguard « rénové » écrit: « Bien qu’aujourd’hui la possibilité de la lutte de classe révolutionnaire puisse sembler aussi utopique que l’injonction biblique à ‘transformer les épées en charrues’, il y a une histoire riche à explorer par tous ceux qui veulent être des révolutionnaires, y compris les révolutions ouvrières embryonnaires d’Iran en 1953 et d’Irak en 1958-59 » (Workers Vanguard, n° 744, 20 octobre 2000). 

Cette perspective ouvertement défaitiste montre que pour la LCI aujourd’hui, le programme de la révolution ouvrière est devenu une rêverie pacifiste, et l’injonction à « explorer » l’histoire de la lutte révolutionnaire au Proche-Orient n’est pas accompagnée d’un programme de lutte tiré de cette histoire. Cela va de pair avec sa position nouvelle comme quoi la conscience de la classe ouvrière a fait un saut qualitatif en arrière à la suite de la mort de l’Union soviétique. En conséquence, selon la LCI, la crise de l’humanité ne saurait  plus la crise de la direction révolutionnaire, à l’encontre de la ferme affirmation du document de fondation de la Quatrième Internationale de Trotsky, le Programme de transition. Mais pour ceux dont le programme bolchevique de révolution socialiste mondiale n’apparaît pas comme une utopie de transformation des épées en charrues, quelles sont les leçons clés à tirer du Proche-Orient ? 

Israël possède de puissantes forces militaires, y compris plus de 200 bombes nucléaires. Les fanatiques sionistes rêvent d’un « Grand Israël » qui s’étendrait jusqu’à l’Euphrate et les partenaires clés de Sharon parlent de bombarder le barrage d’Assouan et Téhéran (c’est pourquoi le futur cabinet Sharon a déjà reçu le sobriquet de gouvernement « Assouan-Téhéran »). Des raisons supplémentaires pour lesquelles il est essentiel de vaincre l’Etat sioniste de l’intérieur. Les communistes arabes et hébreux doivent s’unir pour exiger la libération de Mordechai Vanunu. Celui-ci a courageusement révélé au monde l’existence de l’arsenal atomique aux mains des bouchers sionistes, qui sont parfaitement capables de faire sauter le monde. Les trotskystes appelleront à la défense des soldats israéliens qui refusent de jouer les assassins en réprimant la jeunesse palestinienne. 

Ils lutteront aussi pour organiser la défense ouvrière contre les attaques pogromistes anti-Arabes, comme celles qui ont eu lieu à Nazareth et dans la région d’Um al-Famm. La police et les sionistes y ont froidement abattu treize Arabes à la mi-octobre, un crime qui fut ensuite défendu par le chef de la police raciste du district. (En fait, des militants de gauche israéliens ont organisé des patrouilles de défense d’un quartier arabe à Haïfa en octobre dernier, d’après les informations rapportées par un partisan local du « trotskyste » britannique Ted Grant). 

Les nationalistes palestiniens, qui ne voient aujourd’hui en Israël qu’un bloc sioniste unanime, ont la même perspective que les sionistes européens au début du XXe siècle. Ils ne voyaient dans les non-Juifs qu’un bloc antisémite unanime. Se considérant sans alliés et sans possibilités de résistance, les sionistes ne pouvaient que fuir (en une indécente collusion avec les fascistes, contents de les voir partir). Nous avons déjà démontré que le projet sioniste de construction d’un « Etat juif » en Palestine était en opposition non seulement avec les intérêts des Arabes mais aussi avec les intérêts des millions de Juifs (voir « Zionism, Imperialism and Anti-Semitism », The Internationalist n° 9, January- February). Nous avons aussi décrit en détail l’histoire des luttes communes des ouvriers arabes et hébreux sous le Mandat britannique. En fait, de telles luttes ont continué jusqu’à la veille de la naissance d’Israël, et les sionistes ont délibérément attaqué des endroits connus pour leurs luttes unies afin d’en chasser les ouvriers arabes (voir « Arab/Hebrew Workers’ Struggles Before the Birth of Israel », The Internationalist n° 9, January-February ). 

Mais la perspective pour la révolution socialiste en Palestine ne peut pas être limitée à ce coin minuscule du Proche-Orient. En réalité, la région tout entière abonde en potentiel révolutionnaire. Bien que nous ne soyons pas d’accord avec son programme libéral bourgeois, le Palestinien Edward Said fait une remarque importante dans son livre The End of the Peace Process. Il note que depuis la débâcle de la guerre arabo-israélienne de 1967: 

« La grande ironie est que chaque régime arabe important est toujours fondamentalement intact aujourd’hui, trente ans après la plus grande défaite collective de l’histoire arabe. Certes, presque tous les régimes ont transféré leur allégeance aux Etats-Unis, et l’Egypte, la Jordanie et l’Organisation pour la libération de la Palestine, auparavant belliqueux, ont signé des accords de paix avec Israël. Mais la structure du pouvoir dans le monde arabe est restée en place, avec les mêmes oligarchies, les mêmes cadres militaires et les mêmes élites traditionnelles qui possèdent les mêmes privilèges et qui prennent les mêmes types de décisions qu’en 1967. »
En fait, la région du Proche-Orient possède probablement aujourd’hui la plus grande concentration au monde d’anciens régimes pourris. Il n’est pas difficile d’envisager une vague révolutionnaire qui balaye les dynasties, cliques et dictateurs régnants banqueroutiers. 

Mais pour qu’un tel soulèvement puisse mobiliser les masses paysannes opprimées et l’énorme puissance de la classe ouvrière, il faut se baser sur un programme internationaliste de révolution prolétarienne. Le Proche-Orient est dans sa grande majorité une région arabe, mais il comprend aussi, en plus du peuple hébreu en Palestine, les Turcs, Kurdes, Arméniens, Turkmènes et une multitude de communautés religieuses/ethniques, y compris les coptes chrétiens et les Nubiens noirs en Egypte. En fait, beaucoup des premiers dirigeants des partis communistes dans la région étaient originaires de telles minorités. Il faut forger des partis révolutionnaires d’avant-garde qui soient capables de diriger les masses travailleuses de tous ces groupes et peuples dans une lutte commune contre l’impérialisme capitaliste. 

Avec son programme réformiste de révolution « par étapes », le stalinisme abandonna la lutte en faveur de la révolution socialiste internationale pour lui substituer le suivisme envers tout courant nationaliste bourgeois ou petit-bourgeois qui prédominait à l’époque. Cette politique a eu des conséquences désastreuses en Palestine où elle a conduit à des scissions répétées du Parti communiste sur des bases nationales. En Egypte, elle a mené à la défaite d’une puissante vague de grèves et ouvert la porte au nationalisme arabe nassérien. En Irak, elle a signifié la défaite du soulèvement ouvrier de 1948, dirigé par le PC contre la domination coloniale britannique. En Iran, elle a enchaîné les puissants ouvriers du pétrole au faible régime nationaliste de Mossadegh, qui fut renversé par la CIA lors d’une « révolution » de palais en 1953. 

D’authentiques partis communistes au Proche-Orient doivent être basés sur le programme trotskyste de révolution permanente, le programme réalisé par les bolcheviks dans l’empire tsariste en 1917, et qui a donné naissance à la république ouvrière soviétique multinationale. A l’époque impérialiste actuelle, les bourgeoisies nationales faibles sont incapables de réaliser les tâches fondamentales des révolutions bourgeoises classiques. Liées par des milliers de liens aux forces de la réaction intérieure et complètement subordonnées à l’impérialisme, les classes capitalistes autochtones ont en face d’elles un prolétariat de taille assez importante et une vaste population paysanne pauvre. Pour conduire les travailleurs au pouvoir et émanciper les opprimés, il faut la direction de partis ouvriers révolutionnaires qui se placent à la tête de tous les opprimés. Après sa prise du pouvoir, la classe ouvrière combinera dès le début la résolution des questions démocratiques urgentes et les mesures socialistes nécessaires pour sauvegarder son régime et favoriser le développement économique. 

De tels partis doivent faire des efforts particuliers pour gagner des cadres politiques femmes afin de mobiliser le potentiel explosif de la population féminine profondément opprimée. Ce combat opposera les communistes aux nationalistes bourgeois et petits-bourgeois de toute espèce. En Algérie, après la victoire de la guerre pour l’indépendance, les combattantes qui avaient joué un rôle dirigeant dans la lutte furent démobilisées et renvoyées dans les foyers domestiques, où elles furent soumises à l’oppression patriarcale et religieuse. Chez les Palestiniens, dans la monarchie hachémite profondément conservatrice de Jordanie, les « assassinats pour l’honneur » des femmes que l’on estime avoir « déshonoré » leurs familles sont encore fréquents. Le parti qui dénoncera ce terrible fléau rencontrera une opposition féroce, mais il gagnera la confiance de la partie la plus opprimée et potentiellement la plus révolutionnaire de la population. Comme l’expérience bolchevique en Asie centrale soviétique l’a montré, les femmes seront parmi les combattants les plus courageux et les plus déterminés du communisme. Les trotskystes ont déclaré « Salut à l’Armée rouge en Afghanistan ! » contre les moudjahidins soutenus par la CIA et, aujourd’hui, ils défendent la cause des femmes afghanes, qui souffrent le plus de la victoire remportée par les moudjahidins sur le gouvernement de Kaboul soutenu par les Soviétiques. 

Etant donné la mosaïque ethnique et religieuse de la région, une attitude marxiste envers la religion sera d’une grande importance. Tout en menant une guerre de classe contre l’impérialisme, les communistes rejettent impitoyablement de appels à une djihad (guerre sainte), qui ne fait qu’attiser les flammes de la réaction islamique. Il sera d’une extrême urgence d’étendre la révolution d’abord aux centres impérialistes, et tout d’abord à l’Europe, qui, sous le régime ouvrier, peuvent fournir une aide étatique et un soutien militaire et économique. Que le socialisme ne puisse être qu’international est une leçon essentielle de la mort de l’URSS. L’intervention militaire et la pression économique impérialiste sur la jeune Union soviétique, combinées avec l’isolement consécutif à la défaite des révolutions ouvrières européennes au début des années 1920, ont amené à la consolidation d’une caste bureaucratique conservatrice et nationaliste qui a miné les fondements prolétariens de l’URSS. Cela a amené ultérieurement à la contre-révolution capitaliste de 1991-92, une défaite historique pour la classe ouvrière mondiale qui, à son tour, a amené au funeste « processus de paix » d’Oslo et à une intensification de l’épouvantable oppression du peuple palestinien. 

Les ouvriers et les jeunes palestiniens, qui n’ont rien à perdre que leurs chaînes, sont dispersés dans une cruelle diaspora dans toute la région. Ils comprennent des cadres politiques potentiels qui, plus que n’importe autre quel peuple de la région, ont une expérience cosmopolite. Les communistes d’origine juive qui mènent une lutte résolue contre le sionisme seront capables de jouer un rôle essentiel dans le développement de partis communistes aux côtés de leurs camarades arabes. Ensemble, ils peuvent enrichir la culture, développer les ressources de la région et faire vraiment s’épanouir le désert. Aujourd’hui, le Proche-Orient est un symbole de la banqueroute de tous les nationalismes et de l’oppression sanglante du capitalisme pourrissant ; il pourra devenir une place forte de la révolution socialiste pour l’émancipation des masses travailleuses dans le monde entier. 
 
 

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